Pendant que Ammar s'amusait à museler les internautes et diriger les connaissances sur le Net , et pendant que la télévision tunisienne s'acharnait à abrutir nos chers concitoyens, oui pendant que sur toutes les ondes, les radios criaient haut et fort à quel point le Tunisien était heureux et équilibré, la censure s'invitait sur nos papiers. Jusqu'au bout de nos plumes pour nous couper, nous « corriger », nous faire dire ce que nous n'avons jamais pensé et même nous faire applaudir ceux que nous avons toujours repoussés. Tous complices ! Oui, mais pouvons-nous aujourd'hui prétendre n'avoir jamais participé à cette dictature ? Pouvons-nous affirmer honnêtement que nous ne nous sommes pas finalement faits complices de cette censure ? Complices par notre silence, par notre acquiescement. Malheureusement, force est de constater maintenant, et avec beaucoup d'amertume, à quel point nous avons été lâches, tous sans exception. Lâches, parce que nous avons attendu qu'un jeune désespéré et agacé par l'injustice, ose allumer en nous la flamme du courage. Et soudainement nous transformer en guerriers de la liberté dans toutes ses formes. Une énorme responsabilité Il faut signaler que le Tunisien, longtemps muselé comme un animal sauvage et ignare, dirigé comme un débutant dans l'art d'être, est aujourd'hui relâché, libre et libéré. Il ne faut pas avoir peur d'admettre que cette liberté, tant attendue, représente aussi une grande responsabilité. Oui, car si hier, les dirigeants récoltaient et les bons points et les torts de nos actes, aujourd'hui, nous sommes seuls maîtres de nos faits, de nos dires, de nos écrits, de notre vie. Certains disent que l'ivresse de cette liberté soudaine qui a pris le Tunisien, depuis le soulèvement du peuple, est passagère et que bientôt nous serons tous à même de nous autodiriger comme on veut et de vivre comme on l'entend. Mais faisons tout de même attention à ne pas s'emprisonner longtemps dans cette ivresse qui camoufle les réalités et nous fait vivre dans le monde imaginaire du Tunisien tout puissant qui ne craint plus rien et qui, pour un oui pour un non, est capable de se déchaîner… Réactions Le Tunisien d'aujourd'hui est un nouveau-né dans un monde libre et sans restrictions. Ce nouveau-né est encore maladroit dans son rapport avec ces nouveaux outils qui lui sont tombés dessus, si rapidement. Et ces outils livrés sans mode d'emploi ne sont peut-être pas toujours utilisés à bon escient. Ainsi, nous avons remarqué que tous les Tunisiens se sont improvisés journalistes, ces derniers temps, que tous nous nous sommes mis à discuter politique. La censure a, ici, tenu un rôle majeur en laissant les Tunisiens à l'écart dans le domaine politique, car même si nous avons des écoles qui enseignent le journalisme et la politique, seule la pratique rend effective la formation. Et la question serait est-ce qu'il y a eu, ici, chez nous en Tunisie, des gens réellement formés aussi bien en théorie qu'en pratique dans ces domaines ? Permettez-nous, aujourd'hui, d'en douter et à juste titre ! Quoi qu'il en soit, il nous semble qu'il serait urgent de nous inscrire tous à l'école de l'audace dans le sens positif du terme. Une école où on nous apprendra à articuler clairement ce que nous ne disions qu'à demi-mot. Paranoïa ou le prix de la liberté d'expression Dès que les médias ont été libérés, ils nous ont tous plongés dans la désinformation et nous ont transformés en paranoïaques ! Le Tunisien aujourd'hui ne sait plus qui croire et à qui faire confiance. Il ne sait plus qui va démentir les rumeurs, qui va les confirmer, qui va "censurer " les mensonges…Peut-être finalement qu'abolir une certaine forme de contrôle de l'information serait se condamner à une paranoïa éternelle et un doute universel. Le but de la censure La censure, hier, entendait dessiner une Tunisie utopique, une Tunisie imaginaire qui n'avait rien à voir avec la réalité ! Pendant que les jeunes se faisaient arrêter pour consommation où trafic de drogue, on nous empêchait de prononcer cette « aberration » (drogue)! Ainsi, nous avons vu nos papiers coupés, décortiqués, nos idées refoulées par l'image haute en couleur qu'on nous demandait de dessiner. Il faut noter, cependant, que nous avons essayé de lutter comme nous avons pu et que nous avons réussi, quelquefois, à dire à demi-mot peut-être, mais au moins à faire passer quelques messages, notamment concernant l'abus qui se faisait dans les boîtes de nuit qui n'offraient leurs plus belles places qu'à ceux qui garantissaient une consommation exubérante d'alcool. Ce qui nous a frappés aussi, c'est cet acharnement à faire de la Tunisie un pays qui ne supportait aucune diversité, en nous empêchant notamment de parler de l'homosexualité qui est un « courant » pourtant de plus en plus emprunté chez nous en Tunisie. Peut-être voulait-on masquer cette diversité et fermer les yeux sur les différences pour finalement condamner ses adeptes à la marginalité… Nous ne prétendrons pas aujourd'hui comprendre ce qui poussait notre "sénior" à nous léser dans nos écrits. Bien que des fois, cela ait été tellement explicite que nous en avons ri pour cacher notre amertume. Nous citerons, à ce propos, tous nos papiers qui se sont vu ajouter quelques lignes de remerciements à Ben Ali . Et cette gratitude qu'on s'est retrouvés à lui témoigner, alors que nous voulions plutôt le "remercier" pour les chaînes qu'il serrait chaque jour un peu plus. On s'est étonnés aussi de voir l'encre d'impression du journal sécher à chaque fois que nous voulions aborder un sujet « délicat ». On s'est découragés des fois, on s'est retrouvés désorientés entre cette sollicitation très dynamique qui témoignait un certain intérêt et ce blocage, et ce vide dans lequel on nous poussait, dès qu'on essayait de proposer des sujets proches de notre réalité. Des fois pour éviter de nous faire fusiller du regard par des séniors qui savaient que les chaînes qui liaient leurs mains étaient peut être plus serrées autour des nôtres. Et des fois pour éviter de regarder en face la prison dans laquelle vivaient nos idées en imaginant que tant qu'elles ne sortiraient pas de nos têtes elles seraient encore des pensée libres en quelque sorte. Et demain ? Demain, la main qui a maquillé nos écrits, cette main qui a bafoué notre crédibilité, cette main qui s'est accaparé tous nos droits à nous exprimer librement, sera-t-elle morte et enterrée ? Est-ce que nous réussirons, enfin, à faire de nos écrits la voix des jeunes d'aujourd'hui ? Est-ce que nous saurons donner un nouveau souffle à cet espace ? Serons-nous à la hauteur de la liberté que nous avons revendiquée et gagnée, fièrement ? Saurons-nous sortir de ce tourbillon de la direction unique ? En tout cas, ce que nous pouvons promettre aujourd'hui, c'est que plus jamais nous ne nous laisserons faire ! Plus jamais nous ne céderons à l'intimidation, plus jamais nous jeunes « journalistes » censés représenter notre génération, nous ne laisserons les idées « rouillées » d'une liberté dirigée qui propose puis impose jusqu'aux titres fards de notre espace, nous léser. Cette liberté qui nous est soudainement tombée dessus comme une bénédiction est un cadeau que nous n'osions même pas rêver. Certes, mais maintenant que nous l'avons, nous le considérons comme acquis. Nous ne prétendrons pas que dès demain, notre supplément frôlera la perfection, mais nous espérons que d'ici quelque temps, nous réussirons à en faire quelque chose qui nous ressemble à nous jeunesse d'aujourd'hui, nous espoir de demain, nous inspiration de toujours.