Ce qui s'est produit il y a trois ou quatre jours devant la grande synagogue Beth Shalom, à Tunis, a fortement ébranlé et traumatisé les Tunisiens dans leur certitude qu'ils étaient prémunis contre les germes de la discorde et de la haine raciale. Pourtant, la tolérance, vertu cardinale des Tunisiens dont ils se sont prévalus tout au long de leur histoire vieille de trois mille ans, nous a sérieusement fait douter de cette réputation qui a longtemps flatté notre ego au point de modifier nos convictions. Les slogans hostiles à des Juifs tunisiens par des compatriotes musulmans sont plus qu'intolérables et étrangers à nos mœurs. Aucun Tunisien digne de ce nom ne peut admettre ces graves écarts. Il y va de notre crédibilité en tant que nation ayant atteint un certain degré d'évolution intellectuelle et civilisationnelle et de maturité politique. Ces appels à la haine raciale et religieuse venant de groupuscules extrémistes salafistes ont semé la terreur au sein de la population qui, dans les circonstances actuelles que traverse le pays, n'avait point besoin d'un surcroît de tension. Est-il permis que cette Tunisie, considérée à juste titre d'oasis de paix et d'îlot de tolérance religieuse, bascule subitement dans un sectarisme hideux et abject qui nous a fait redouter et craindre la résurgence de doctrines et d'idéologies racistes et antisémites qu'on se refuse obligatoirement d'admettre ? La grande majorité des Tunisiens ne se reconnaît pas dans ces «fous de Dieu» qui brandissent et agitent la menace d'imposer par la force la chariâ islamique, sachant de quoi il en revient avec les quelques pays qui l'ont appliquée. Des illuminés aveuglés par un zèle fanatique qui a fini par leur faire croire ou confondre les nobles valeurs de l'Islam qui sont amour, miséricorde et pardon avec d'autres principes inspirés de Satan. Le peuple tunisien rejette la tutelle que voudraient exercer certaines parties salafistes et extrémistes qui, toutes tendances confondues, projettent d'imposer leur loi. Il a également démasqué les véritables intentions de ces gens hostiles à la modernité, malgré tous les démentis apportés et les thèses soutenues. Les Tunisiens appréhendent, aujourd'hui, et à la lumière des graves scènes d'hystérie collective qui se sont déroulées devant la grande synagogue de la capitale, l'ombre de l'obscurantisme qui plane sur leur pays et qui constitue un sujet de grande inquiétude pour les libertés publiques et une dangereuse menace à l'idéal de la modernité inscrit depuis des décennies dans leurs gènes. Aux obscurantistes qui refusent d'admettre l'autorité de la raison, à l'origine du principe de la tolérance, de la liberté du culte et de la liberté tout court, la Tunisie du 14 janvier 2011 leur lance ce slogan bref et frappant: «dégagez».