Par Dr Habib ACHOUR L'histoire de la Tunisie sera marquée à jamais par les événements que nous venons de vivre entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011‑: une véritable révolution populaire, qui est de nature à transformer radicalement le présent et le devenir de la nation tunisienne, à tel point qu'il est tout à fait légitime de revendiquer l'institution de la deuxième République, 55 ans après la proclamation de l'Indépendance, une deuxième République qui ne pourra être que fondamentalement opposée à la première quant au vécu quotidien du citoyen et à ses ambitions, tous les secteurs confondus. Evénement extraordinaire, cette révolution, ayant pour socle un mécontentement généralisé de la population et se basant sur des prémices multiples qui ne trompent pas, a été unique dans sa conception et dans son déroulement. Enclenchée par le sacrifice du martyr Mohamed Bouazizi, elle a été menée, tambour battant et spontanément, par la jeunesse du pays, sans aucune force directrice, pour devenir très vite généralisée et imposante. Cela, bien sûr, grâce à la maturité de la jeunesse tunisienne et à sa volonté pressante de réussir à réaliser l'impensable, même au prix de quelques dizaines de martyrs, dont nous saluons pieusement la mémoire, à savoir le départ du tyran avec son entourage malsain, auteurs et responsables de ce mécontentement et de tant de déviations «criminelles», et le renversement du régime. Que recherchaient les révolutionnaires tout au long de leurs manifestations et de leurs sit-in multiples et répétés‑? Que des valeurs et des droits princeps, réclamés par toute personne vivant dans un Etat de droit, et qui leur étaient massivement spoliés sous l'ancien régime, malgré les promesses renouvelées indéfiniment pendant 23 ans. Citons parmi ces valeurs‑: la liberté, la dignité, l'emploi, l'équilibre régional, la démocratie dans toutes ses expressions politique, sociale, économique… mais dans les faits et dans la réalité de tous les jours et non dans l'utopie, la façade et le verbe, comme cela a été le cas jusqu'ici. Ces objectifs peuvent être difficiles à atteindre, mais ils restent à notre portée, à la seule condition de tourner la page du passé et de repartir sur de nouvelles bases bien différentes de celles qui existaient, incluant notamment‑: – L'exercice de la liberté dans toutes ses expressions. – La participation de toutes les forces vives, sans exclusive, à la marche du pays. – Le respect des règles démocratiques. – La recherche de l'équité, tant sur le plan individuel que régional. – Le suivi et l'évaluation effective de nos activités, afin de récompenser l'effort à sa juste valeur. Une politique nationale basée sur ces principes, et appliquée scrupuleusement, ne pourra qu'encourager tout un chacun à se dépenser au maximum pour être à la hauteur de sa tâche et participer ainsi à l'avancée du pays. Encore faudrait-il passer courageusement et victorieusement cette période délicate de transition, pourtant bien cruciale pour l'avenir du pays qui va dépendre bien sûr des mesures et des décisions qui seront prises par l'autorité nationale dans l'immédiat. Cela concerne entre autres‑: 1) Le rétablissement immédiat de l'activité normale dans tous les secteurs, et notamment l'enseignement, la relance économique dans tous ses compartiments et le tourisme. 2) La concrétisation et la généralisation des mesures assurant la liberté des citoyens dans tous les domaines. 3) La création accélérée des postes d'emploi, sachant que les besoins existent réellement dans la plupart des secteurs et des institutions qui fonctionnaient avec des effectifs en deçà des normes appliquées dans les pays avancés. Citons à titre d'exemple le nombre de médecins qui est de 1 pour 900 habitants en Tunisie contre 3 médecins pour 1.000 habitants en Europe et le nombre d'infirmiers qui est de 3 infirmiers pour 1.000 habitants en Tunisie contre le triple en Europe. 4) La conception d'un modèle économique pouvant garantir plus d'emplois dans le respect de l'équilibre régional, à travers la promotion de l'industrie et le développement de l'agriculture. 5) La détermination à opter pour une véritable démocratie en Tunisie, en fixant les bases de son installation, sans possibilité de retour en arrière. Sans être un homme de droit, on peut comprendre que la démocratie, en tant que valeur, puisse exister à des degrés et dans des domaines différents dans la plupart des régimes politiques. Mais de toute évidence, si l'on tient à éviter au maximum les dérives, seul le régime parlementaire est à même d'imposer la pratique réelle de la démocratie, le pouvoir étant détenu par les représentants de la nation. Optons pour le régime parlementaire afin de faire de la Tunisie de demain un pays effectivement démocratique et d'être ainsi à la hauteur des sacrifices consentis par notre jeunesse, les hommes de l'avenir, lors de la révolution du 14 janvier. Naturellement, cela nous imposerait l'élaboration d'une nouvelle Constitution, car l'actuelle ne saurait, à mon sens, répondre à un objectif aussi radical (changement du régime). L'option devrait être prise le plus rapidement possible par les premiers responsables actuels du pays, après consultation urgente des partis, des institutions et des compétences nationales. Auquel cas, le recours à un Conseil constitutionnel s'imposerait pour élaborer, dans un laps de temps déterminé, une nouvelle Constitution qui garantirait les valeurs défendues par nos martyrs. Il est plus qu'évident que dans cette Tunisie de demain, la deuxième République, les citoyens retrouvant aisément et quotidiennement leurs libertés, leur dignité et leur place, ne pourront que se donner à fond pour contribuer activement à la richesse et à l'essor du pays.