Par Néjib El Koufi Si on excepte quelques monarchies et dictatures finissantes, la terre entière a admiré la révolution tunisienne. Elle a été subjuguée par un peuple, jeunesse au front, qui a réussi à abattre une dictature avec une facilité déconcertante. Une révolution inédite, faite sans moyen,sans logistique,sans préparation ni programme, sans direction; inconcevable pour les théoriciens des écoles de police spécialisées dans la lutte "antisubversive" et autres guérillas urbaines,introuvable dans les manuels des états-majors des services secrets et des écoles de renseignements. Auréolée de ce prestige, la révolution tunisienne a connu une grâce inégalée. Forte de celle-ci, elle se devait de réussir la cohésion d'un peuple victime dans son immense majorité des affres d'une dictature honnie. Les lendemains n'ont cependant pas été de ceux qui chantent. Une valse d'hésitations des uns, des pics de surenchère des autres, une rue à la commande de ceux qui tirent les ficelles, une contestation allant crescendo dans tous les sens, venant de toutes parts, animée par des motivations diverses et souvent contradictoires mais se focalisant sur ceux qui ont la charge de "gouverner". Ces éléments et d'autres ont rendu la tâche difficile à ceux qui ont essayé de faire quelque chose. Les procès d'intention ont accompagné chaque action annoncée tant et si bien qu'aucune mesure n'a été positivée ni entièrement accomplie. Des mesures aussi historiques que l'amnistie générale ou bien celle de la légalisation de partis politiques interdits à perpétuelle demeure pour lesquelles des générations de militants ont combattu sont passées inaperçues, presque banalisées. Des générations d'étudiants ont milité pour l'intégrité de l'université et la dissolution de la police universitaire. Le premier geste du ministre en charge du département a été de rendre l'université à ses seuls locataires qui sont le corps enseignant et les étudiants. Il a été bien remercié. Qui joue le pourrissement et à qui profite la confusion ? Le train de la révolution a été pris en marche par diverses tendances politiques et organisations nationales dans le but non avoué de s'en approprier seules le devenir. Les mobiles sont différents. Certains, comme la direction de l'Ugtt, veulent faire oublier sa compromission avec le régime déchu. A-t-on oublié que la commission administrative de la centrale syndicale, sous la pression de la direction, a, le 16 juillet 2009, soutenu la candidature de Ben Ali en "tant que choix unique" du peuple tunisien? Qu'un membre du bureau exécutif a même été installé par le président déchu à la Chambre des conseillers en remerciement pour services rendus? Que ce même bureau exécutif a tellement avalé de couleuvres, les plus spectaculaires d'entre elles celle de la Cnam et celle de la privatisation du secteur public au bénéfice de la famille régnante sans bouger le petit doigt, hormis quelques timides dénonciations à peine audibles? La jeunesse, encore elle, a bien compris cette duplicité quand elle a facebooké "Jrad dégage". En rappel, la majorité silencieuse, qui ne l'est plus, a entonné ce même refrain. Certains aussi comme ces révolutionnaires de la dernière heure, croyant rééditer des schémas, projettent sur la réalité du pays leurs fantasmes. Ceux-ci se trompent d'histoire et de géographie, de temps et d'espace. Il y a une volonté évidente de détruire toute tentative de cheminement vers la démocratie qui est une construction, un état d'esprit et des institutions. La démocratie n'étant pas une génération spontanée mais un apprentissage. Le Mouvement Ettajdid a vécu à Sfax un épisode digne de la période Ben Ali, mieux celle de Sayah et Ben Aïcha. Des cadres de l'Ugtt et d'autres déchaînés de divers bords ont saboté le meeting. Avons-nous déposé un dictateur pour donner naissance à une dictature à plusieurs têtes ? Le confus de la situation fait le lit d'une dictature de type nouveau qui cueillera le fruit mûr et apparaîtra comme une libération, tout comme est apparu Ben Ali le 7 novembre 1987. Laisserons-nous faire ? Notre jeunesse mérite-t-elle de passer à l'âge adulte sans vivre le droit de choisir en toute liberté? Le 14 janvier, notre pays est devenu pour un temps le phare du monde, allons-nous laisser la lumière de ce phare s'éteindre ?