Par Habib chaghal * Que sont devenus les jeunes Tunisiens qui ont soutenu la révolution dès son déclenchement à travers la Toile ? Alors qu'ils continuent à remplir les sites sociaux sur Internet d'informations et d'opinions,les avocats,les syndicalistes ,les juges et autres «experts» des révolutions accaparent les médias pour dénoncer quasi-unanimement le gouvernement provisoire et proposer des solutions à cette situation transitoire,des solutions complexes et souvent contradictoires. Il y a ceux qui soutiennent la nécessité de tourner la page de la Constitution actuelle et appellent à une Assemblée constituante pour élaborer une nouvelle Constitution sans nous démontrer quels sont les articles qui ne pourraient pas répondre à la nouvelle situation politique issue de la révolution. Les Egyptiens sont unanimes à dire clairement quels sont les articles à changer dans leur Constitution et ils les ont modifiés en l'espace de quelques jours. Pourquoi pas nous? La question est posée au doyen Moussa qui, au nom d'un droit qu'il ne définit pas, déclarait sur notre TV nationale, il y a quelques jours, «qu'on doit annuler la Constitution actuelle»,n'est-ce pas étrange de la part d'un grand universitaire de s'arroger ce «droit». N'était-il pas plus logique de donner tout simplement son avis en l'explicitant et de présenter les autres alternatives possibles et tout aussi valables. Il y a ceux qui voudraient prendre en otage l'expression du peuple à travers une structure ad hoc appelée Comité pour la défense de la révolution qui comprend des partis politiques, pour la plupart en cours de formation, et des organisations professionnelles pour dicter à la volonté populaire une feuille de route qu'ils concoctent dans les bureaux, la transmettent aux médias et la «légalisent» à travers le porte-parole des jeunes en sit-in à la Kasbah autoproclamés «représentants» de la Révolution. Il y a ceux qui, par peur des urnes, se déplacent de plateau en plateau et de radio en radio pour exiger la dissolution du RCD, accusant ses adhérents d'être à l'origine de tous les actes de vandalisme ; même l'émigration clandestine à partir de Zarzis est attribuée à une manipulation des adeptes de ce parti (Ach-chourouk). Leur emboîtant le pas, le ministre de l'Intérieur porte l'affaire de sa dissolution devant le tribunal. Serait-il disposé à porter plainte contre le parti «Ennahdha» si des adeptes de cette mouvance étaient impliqués dans des actes condamnables? On oublie que l'une des raisons de la déstabilisation de la société aujourd'hui est cet acharnement sur les centaines de milliers de militants de base du RCD essentiellement destouriens dont le président déchu a confisqué la direction du parti en 1987 sous les applaudissements des fondateurs de la Ligue des droits de l'Homme.(Zmerli,Charfi,Rouissi,Jazi…). Il y a ceux qui, contre toute logique, proposent un gouvernement de technocrates pour faire face à une crise politique, et lorsque le gouvernement s'attache à élaborer des programmes pour faire face à la crise sociale, ils crient tout haut que les doléances du peuple sont d'ordre politique. Il y a ceux qui prônent la révolution permanente, ils oublient que la révolution culturelle de Mao est ensevelie à jamais dans l'Histoire au même titre que le communisme de Lénine, de Khoja et de Trotsky. Il y a ceux qui se confondent avec la masse dite silencieuse, c'est-à-dire la majorité de la société dont font partie ces jeunes internautes qui ont si brillamment relayé les événements de décembre et de janvier contribuant efficacement à la chute de l'ancien dictateur. Ces jeunes ont donc décidé de manifester leur présence à El Menzah quotidiennement.Il y a ceux qui appellent à un référendum pour savoir si le peuple souhaite l'organisation d'élections pour une Constituante ou des élections d'un président conformément à l'article 57 de la Constitution actuelle; dans ce cas le mandat du président actuel devrait être prorogé .Mais qu'est-ce qu'une Constituante ? Tout simplement une Assemblée de représentants élus comme c'est le cas de l'assemblée des représentants actuelle sauf qu'on a décidé à l'avance de lui imposer une mission : celle d'élaborer une nouvelle Constitution pour remplacer celle de 1959. Il y aura beaucoup de «copier coller» n'en déplaise à nos experts en la matière. Il y a ceux qui … Enfin, il y a ceux qui considèrent, à juste titre, que la dictature du président déchu ne s'était pas établie spontanément et qu'une complicité des hauts responsables de l'Etat est certaine. Cependant, cette implication n'a pas à ce jour été dénoncée ou clairement explicitée comme l'a montré E. Hibou dans son livre sur la Tunisie L'Obéissance forcée. Collaborateurs de Ben Ali : venez expliquer l'horreur, c'est-à-dire le mécanisme d'un despotisme auquel vous avez si subtilement contribué à édifier et que vous avez soutenu jusqu'au bout pour écraser la volonté de tout un peuple, bafouer sa dignité, confisquer ses libertés et l'exclure de la vie politique qui le concerne en premier lieu. Et surtout évitez de prétendre que c'est la Constitution qui est responsable du pouvoir dictatorial de Ben Ali, comme semblent vous le suggérer nos experts en droit constitutionnel. Le peuple a besoin de savoir comment nous en sommes arrivés à cette situation pour qu'à l'avenir jamais une dictature ne prenne en otage toute une population. *Ancien diplomate à la retraite