• Sécurité, emploi et relance économique en tête de l'agenda du gouvernement de transition Pour sa première prise de contact avec les médias en tant que chef du gouvernement, M. Béji Caïd Essebsi a choisi de marquer un style en rupture avec ce que nous avons connu auparavant : un style personnel, émaillé de souvenirs et de réflexions, de paroles populaires fleurant notre terroir autant que de citations coraniques… Un style qui, il faut bien le dire, force la sympathie. Cela se passait hier, 4 mars, dans une des annexes du Palais de Carthage, à l'intérieur d'une petite salle où les journalistes se sont retrouvés à l'étroit, serrés les uns contre les autres, mais en compagnie des membres restants de l'ancien gouvernement. Et cela créait finalement une atmosphère de joyeuse convivialité qui tranchait également avec les anciens usages en pareilles circonstances. «La vérité dans la parole et le dévouement dans l'action» : tel est le principe sous le signe duquel se placera le travail du nouveau chef du gouvernement provisoire. Il s'y engage, a-t-il affirmé, et les membres de son équipe seront également tenus par ce même principe. Après ce préambule, M. Béji Caïd Essebsi, sans le moindre texte sous les yeux, a fait une petite digression sur son parcours personnel, en évoquant d'abord son hésitation à accepter la responsabilité qui lui était confiée : «J'ai passé 35 ans au service du pays et je pensais que cela suffisait. J'ai quitté de moi-même la vie politique pour m'occuper de mes affaires. J'ai une famille… De l'âge aussi, précise-t-il en ajoutant toutefois, avec une note malicieuse, que la jeunesse est un état d'esprit avant d'être un état civil ! Le nouveau Premier ministre a parlé aussi du livre qu'il a édité il y a quelque temps, et qu'il adressait aux jeunes Tunisiens afin qu'ils connaissent les hommes qui ont été les acteurs de la Tunisie moderne au lendemain de l'indépendance : cette Tunisie «entièrement tunisienne, qui a fait le choix de la République, dont l'arabe est la langue et l'Islam la religion»… Une évocation qui permet de marquer son attachement à la mémoire de ceux qui ont lutté pour l'avènement de cette Tunisie. A un héritage aussi : la souveraineté du pays, la femme libérée, une éducation généralisée… A telle enseigne que, aujourd'hui, le problème majeur de la Tunisie est l'emploi des diplômés du supérieur, dont notre économie ne parvient pas à absorber le flux : «C'est notre responsabilité», déclare M. Béji Caïd Essebsi. Des acquis, donc, qui valent à la Tunisie des amis dans le monde. Et l'orateur en vient alors à la période Ben Ali : «Nous avons connu deux décennies au cours desquelles une bande de malfaisants ont ‘‘mangé'' le peuple dans sa chair et dans ses biens…». Le Premier ministre puise alors dans notre littérature politique, celle de Ahmed Ibn Abi Dhiaf, l'image du berger qui se transforme en loup : «Je n'ai pas trouvé d'autre façon de qualifier ce qui s'est passé». Il reconnaît aussi la soif de justice. Il s'agit cependant de ramener la sécurité : les premières réunions prévues après la formation du gouvernement seront consacrées à ce dossier. Mais il réclame du temps pour les procès de ceux qui se sont associés aux actions malfaisantes de l'ancien régime : «Il s'agit de ne pas se rendre injuste envers qui que ce soit ni d'avoir à faire marche arrière par la suite». De plus, fait remarquer le Premier ministre, il y a les pièces maîtresses et les simples pions… La séparation avec l'ancien régime est définitive mais il faut séparer le bon grain de l'ivraie, ce qui n'est pas facile. Quant au cas du président déchu, il est passible du crime de haute trahison. M. Béji Caïd Essebsi s'en tient ici, apparemment, à une accusation qui ne saurait être contestée : la désertion alors que le pays est livré à la violence, étant donné les responsabilités qui sont les siennes. Il rappelle que, chez les militaires, la désertion expose à la peine de mort et rappelle que de tels cas, dans le passé, donnaient lieu à une exécution tellement rapide que le ministre de la Défense qu'il fut autrefois n'avait même pas la possibilité d'exercer son droit à accorder la grâce. En outre, ceux qui ont participé sont des complices… «Personne ne travaille en ce moment !» M. Caïd Essebsi en est venu ensuite aux sit-in, celui de la Kasbah comme les autres, en faisant observer que, dès lors que les raisons qui les ont motivés sont ôtées, ils n'ont plus lieu d'être. Cela, ajoute-t-il, d'autant plus que, d'après les experts, nous avons besoin d'une croissance économique de l'ordre de 8 à 9% et que nous sommes actuellement plus près de 0%... «Nous avons besoin de la coopération internationale», insiste le Premier ministre, en attirant l'attention sur l'importance de la sécurité de ce point de vue. Sécurité, dit-il, qui fait l'objet d'un travail de longue haleine. Le nouveau Premier ministre a demandé par ailleurs au peuple de soutenir le gouvernement dont la composition définitive devrait être annoncée d'ici demain. Le plan est celui annoncé par le président de la République : «Nous n'avons pas d'autre choix». S'il y a des divergences à son sujet, ce qui est compréhensible, elles pourront s'exprimer : «Nous n'avons pas de problèmes !». Mais la priorité est de rétablir l'autorité de l'Etat, c'est-à-dire la sécurité des citoyens et des institutions. Puis il y a l'économie : le tourisme avant tout, pour lequel nous bénéficions d'engagements des partenaires étrangers. Il faut cependant se remettre au travail : «Personne ne travaille en ce moment !» A propos de l'agenda des réformes politiques, M. Béji Caïd Essebsi a évoqué l'Assemblée constituante, en faveur de laquelle s'est exprimée une majorité : «C'est un fait politique», a-t-il souligné, dont on doit tenir compte. Son élection aura lieu dans quatre mois au plus tard. De nouvelles lois électorales viendront entre-temps. S'agissant de l'interdiction qui a été faite aux membres du gouvernement de se présenter aux élections, un «accord» a été arrêté à ce sujet, pour apporter plus de «crédibilité» à l'opération électorale… Pourquoi les deux assemblées actuelles ne sont -elles pas dissoutes? Le Premier ministre fait remarquer que dès lors que la Constitution de 1959 est suspendue, conformément à ce qui a été décidé la veille par le président de la République, les institutions qui en dépendent se retrouvent sans base juridique. Dès que l'Assemblée constituante tiendra sa première réunion, la mission du gouvernement provisoire prendra fin et une nouvelle base sera créée pour les institutions... Pour M. Béji Caïd Essebsi, le gouvernement, bien que provisoire, ne chômera pas : il s'agit de ramener la confiance aux jeunes. Il demande cependant d'être jugé «selon la juste mesure» : «Nous sommes humains… Nous avons la motivation, le sens du sacrifice, mais nous ne sommes pas à l'abri de l'erreur…»