Par Khaled TEBOURBI Une feuille de route enfin ! On sait où l'on va. Ou presque. Reste à savoir si préparer une loi électorale et fixer une date pour la constituante suffiront à épaiser la vie politique et à remettre le pays dans le bon ordre. La confiance qu'inspire une personnalité comme M.Béji Caïed Essebsi le laisse croire. Franchement, les débuts du nouveau premier ministre ont été bons. Bons parce que simples, directs, transparents. Quasiment à l'opposé de ce que fut la démarche de Mohamed Ghannouchi pendant près de deux mois de gouvernance. Maintenant que l'on a entendu M. Béji Caïed Essebsi parler de volonté du peuple, d'assemblée constituante, d'obligation de poursuivre, sans exception aucune, tous ceux qui ont participé aux vols ou aux exactions de l'ancien régime, on s'interroge, perplexes : pourquoi M.Ghannouchi et ses deux gouvernements n'avaient-ils pas fait pareil d'emblée? Pourquoi tout ce temps perdu? Pourquoi avoir laissé la méfiance s'installer chez les jeunes, dans la classe politique, au sein de la centrale syndicale? Pourquoi, en un mot, avoir «laissé pourrir la situation»? Le saura-t-on jamais? Ligne ambiguë Agenda, oui, mais des embûches encore sur le chemin. Quelques représentants des partis ont soulevé la question de la police politique, celle aussi des médias. Ni M. Ghannouchi ni son ministre de l'Intérieur, toujours en exercice, pas plus que M. Caïed Essebsi lui-même, n'ont proféré mot clair sur cette police politique. Celle-ci a bel et bien existé sous Ben Ali, et elle a ô combien sévi. Où en est-elle aujourd'hui ? Existe-t-elle encore ? A-t-elle disparu? Dans le mutisme général personne ne sait. Pourtant, cette police peut, si elle est maintenue, influer sur les élections. L'opposition a des raisons de le dire et d'en avertir. Le nouveau gouvernement affiche sa transparence, pourquoi ne répond-il pas, à son tour, à ces interrogations ? De même que les médias, publics ou privés, en l'état où ils sont, rien ne garantit qu'ils joueront un rôle exemplaire avant et pendant le vote pour la constituante. Pour l'heure, on ne sait qui «roule pour qui» et «qui fait quoi?». L'ex-TV7, promue Télévision nationale, demeure davantage gouvernementale que service public. Les deux chaînes privées font plutôt de «la prêche», quand elles n'ameutent pas, inconsidérément sur les diplômés sans emploi et «l'extrême misère» des «patelins». Une ligne par moments ambiguë, car les reportages proposés distillent une atmosphère d'avant le 14 janvier. Disons-le nettement. On ne sait, là non plus, et au juste, si la cible est Ben Ali ou si ce sont les gouvernements de la transition. Des télévisions, qui ne se soucient pas de faire la différence entre 23 ans de dictature et 50 jours de révolution, entre un Etat déchu, pervers et irresponsable et des gouvernements qui héritent d'un pays «laissé sur la paille», auront-elles la lucidité nécessaire à une couverture objective de la campagne électorale et des élections? Qui adhère… et qui en sourit Et les partis? Et le syndicat? Comment évolueront-ils d'ici la constituante? Plus que quatre mois, c'est peu pour des formations politiques dont les sondages révèlent qu'elles sont ignorées de 75% des Tunisiens? Ira-t-on aux urnes sans vraiment connaître nos futurs élus? Se tromper sur le vote d'une assemblée constituante est peut-être plus dommageable que se tromper sur l'élection d'un député. La constituante donne au pays sa constitution. La loi supérieure qui régira son avenir, au-dessus de toutes les lois et par delà tous les gouvernements et tous les présidents. Imaginons que ceux que l'on charge de donner naissance à cette loi ne soient pas suffisamment «prêts à la tâche». La centrale syndicale pose, elle, un problème récurrent. Historiquement, elle s'est octroyée une légitimité politique. Autrement dit, elle a toujours, directement ou indirectement, participé au pouvoir. C'est le cas depuis la révolution; et d'une façon plus prégnante encore. Avec un monopole incontesté, et plus de 650.000 affiliés, l'UGTT pèse plus que tous les partis cumulés, plus que les gouvernements de transition. Et qui sait, pèsera t-elle autant, sinon davantage, sur les élections de la constituante, puis sur le contenu même de la nouvelle constitution. Jamais syndicat n'aura tenu ce rôle. C'est sans doute une spécificité tunisienne. Mais un syndicat qui décide presque seul est-il facteur et acteur de démocratie? MM. Abdessalam Jerad et Abid Briki ne jurent que par cela. D'aucuns adhèrent? D'autres espèrent. D'autres encore en sourient.