Par Féthi FRINI* Si "l'homme détruit ce qu'il aime le plus" comme l'affirmait Oscar Wilde, cette volonté de destruction semble s'aiguiser davantage pour le colonel Gueddafi quand, son grand amour, en l'occurrence son propre peuple, ne veut déjà plus de lui. Et le lui fait déjà signifier, haut et fort. La fureur vengeresse, à peine réprimée, se déchaîne aussitôt . Violent et bouillonnant, les artères et les canaux congestionnés jusqu'à exploser‑: "Si ce n'est pas avec moi, lance-t-il, à qui voudrait bien l'entendre encore, ça ne sera avec personne d' autre‑!" De là, au bâton, au couteau, à l'arme à feu, ou bien pire encore, au bombardement aérien , il n'y a qu'un pas. Que d'aucuns, de la trempe de Gueddafi franchiraient sans trop s'attarder, ni sur les principes ni sur les détails, sans se préoccuper nullement des effets secondaires, des dommages collatéraux ou alors des réactions réprobatrices. Et sans se tourmenter outre mesure, mettant tout son pays, ou ce qu'il lui en reste encore, sous sa domination, à feu et à sang, Et sans état d'âme, face à la désobéissance de son peuple, un peuple pourtant tant aimé de lui, poussant l'outrecuidance jusqu'à le qualifier de "gros rats". La pire des vengeances La pire des vengeances, qui s'offre encore au Colonel, serait , non pas tant de tuer ou de massacrer, mais de laisser vivre, vivre à son gré, le bon peuple tant aimé. Un peuple pour lequel il s'est donné corps et âme, des années durant , sans rien attendre de lui en retour. "Eh bien qu'il vive, ce qu'il devait se dire, nous verrons bien, après‑!" Toujours convaincu, dans sa fureur vengeresse, que son grand peuple, au fond, devrait pourtant continuer de l'aimer. Eperdument même. Nous croyons que nous n'avons jamais vu personne, peut-être, aussi sensé que notre valeureux Guide de la Révolution aimer quelqu'un d'autre que soi, à ce point. Même pas avec la même intensité avec laquelle vous auriez aimé, vous, votre bien aimé(e). Quand, surtout, au paroxysme de la fureur, il l'assène enfin : "Je t'aime passionnément, Ô sacrée Libye, certes, mais veux –tu me faire plaisir, s'il te plaît, de disparaître de ma vie‑?" Il est vrai que son grand amour, sa très chère Libye, n'a pas suffisamment de temps — elle en avait déjà passé 42 ans, avec lui ! — pour lui faire encore plaisir ? Pour se plier encore à ses folies , à ses fantasmes et à ses caprices. Ce dont elle le lui reproche amèrement. " Tout est désormais fini entre nous, lui lance-t-elle, tout rouge de colère et de sang, allez , du vent! Allez voir ailleurs si j'y suis‑!". Et pourtant, le pauvre amoureux éconduit — avec quelque cent milliards de dollars de revenu annuel provenant de la manne pétrolière — croit encore, dur comme fer , aux vertus de la lutte pour obtenir les faveurs de sa bien-aimée. Faut croire, tout de même qu' il s'est battu. Et mon Dieu, comme il s'est battu‑! A mort‑! Un combat, pour une noble et grande cause et qu'il faudrait mener jusqu'au bout, s'il le faut. D'autres écervelés, l'un de ses prédécesseurs, ne l'avaient-ils pas mener avant lui pour les conduire, au bout du compte, jusqu'au bout d'une corde, bien pendu, haut et court. Tout juste ,pour ne pas déroger à un précédent déjà établi, pour ces "malades" qui ont longtemps gouvernés, d'une main de fer dans un gant de crin… Reconquérir une patrie à jamais perdue D'abord, terriblement déçu, notre Colonel a essayé, tant bien que mal , de la reconquérir, une patrie à jamais perdue. Il aurait ainsi tenté de la séduire de nouveau en lui proposant de convoler en secondes noces, de revivre ensemble dans une deuxième République (une Jamahiriya II), en la couvrant de cadeaux, en l'étouffant de largesses. "Prenez-le pétrole, il est le vôtre, profitez-en ?!". C'est qu'il n'est pas prêt, notre grand Guide de la Révolution, de tout lâcher aussitôt, peut-être encore du lest, lorsque l'on sait que l'objet de son grand amour est immensément riche. Ensuite, se ravisant , il s'est mis en tête d' envoyer à sa bien-aimée Patrie d'interminables poèmes d'amour. D'abord par la voie de son propre rejeton. Puis, prenant son courage à deux mains, de lui lancer quelques mots doux, entrecoupés de graves menaces, de gros mots, de grands mensonges. Il lui a même promis de lui envoyer des SMS, de la rencontrer sur le site communautaire Facebook, ou si elle préfère sur Twitter, de lui téléphoner par skype ou libyana, une fois qu'il aura ordonné de rétablir la connexion et après surtout qu'elle ait cessé de l'importuner à tout bout de Sahara. Enfin, et au comble de la colère , il reprit à son compte les menaces déjà proférées par son rejeton à l' encontre de sa bien-aimée Patrie. Et de décider aussitôt de rompre, de renvoyer les cadeaux reçus, de déchirer les poèmes, de supprimer les SMS reçus, de fermer son compte sur les sites communautaires, de tout déconnecter et de se replonger dans un black-out, un black-out total dont il a toujours su garder le secret, et ce depuis déjà 42 ans. Triste retournement de situation. Parce que, ne pouvant plus se pâmer dans les bras de sa dulcinée, qui n'aurait ni rimes ni diamants à lui offrir; ne sachant plus la faire défaillir pour avoir réussi enfin à déjouer ses sombres desseins ; ne pouvant enfin sortir de ses derniers retranchements, pour pouvoir encore l'émouvoir, rien que pour tenter de faire d'elle une nouvelle femme,euh une Nouvelle République. Triste retournement de situation, après tant d'années d'amour tendre, il s'est retrouvé avec une belle endiablée, qui lui a sauté au cou, qui s'entête à le bousculer, qui s'acharne enfin à le faire tomber . Menaçant, s'agitant à l'excès ,se cognant la tête contre les murs, s'arrachant les cheveux, il ne cesse de tempêter, de vociférer, de blasphémer‑: "Elle n'a pas le droit de me faire ça‑!" Il n'est que délire et divagation. Il jure,il le crie sur les toits : "Je cours chez elle ,je la chercherai partout, d'Est en Ouest, sur la grande place du Premier Septembre, puis "chibr, chibr", " dar, dar", "bit, bit", "fardan, fardan" et surtout, et surtout "zanga zanga"… Je lui enfoncerai volontiers un couteau dans le ventre et je me tuerai après‑!" Tenter de se faire oublier Il a répété ce serment à tant de gens qui lui sont, semble-t-il encore fidèles , que, normalement, toute l'énergie canalisée par un tel acte insensé finit par partir dans ce flot de paroles souvent incompréhensibles Il y aurait une ultime issue, une sortie de secours fort honorable, tout à l'honneur de notre grand Guide de la Révolution, pour les grands déçus de l'amour d'une Patrie de son espèce. Non, ne pas commettre l'irréparable, ne pas tuer surtout l'objet de sa passion. Mais voilà, se résoudre enfin à y passer une éponge, renoncer tout simplement et, tout bonnement, se retirer...Oui, tirer sa révérence, disparaître enfin sans regret ni rancœur. Malgré le grand abandon ,en dépit du terrible lâchage. Se faire une raison ,pour une fois que l'on ait l'occasion, qu'on ait encore suffisamment de force pour se méprendre, suffisamment de poigne pour s'assagir, suffisamment de ressort surtout, pour s'éjecter en dehors du nouvel ordre arabe, au-delà du nouvel environnement révolutionnaire. Et, quitter enfin la scène de ses méfaits sur le bout des pieds.Tenter, après la folie des grandeurs, d'adopter un profil bas. Et, en fin de compte, se faire oublier. Cela ne servirait plus à rien de tenter de se maintenir encore, de s'accrocher à un pouvoir chancelant, de s'entêter à aller à contre-courant de la dynamique de l'Histoire . Renoncer enfin à une époque bien peu glorieuse , à jamais révolue, ébranlée par les nombreux et profonds bouleversements intervenus dans le monde depuis la chute du Mur de Berlin en décembre 1989 et, lui emboîtant le pas, la hécatombe observée des régimes totalitaires arabes, amorcée déjà par notre Révolution du 14 Janvier 2011,largement en cours mais qui n'est pas prête de connaître une fin toute proche. Quand le mal est là, qu'il est déjà endémique, il se pourrait bien qu'il soit épidémique . N.B : Fethi Frini C.I.N.2803908, du 17/12/97, rue Mohamed El Harbi–AFH Sahloul n°118, Sousse, Tel.: 97333095/73369481 (D) 73225788 (B), juriste, administrateur, cadre de direction générale à la Sonède, date de naissance 04/06/1954, marié deux enfants, nombreuses collaborations dans quotidiens et hebdomadaires nationaux (Tunis Hebdo, Réalités, Le Temps, La Presse, à partir du bureau de Sousse). * (Juriste)