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Une rencontre à deux voix
Littérature: Pierre Garrigues et Aymen Hacen chez Art-Libris
Publié dans La Presse de Tunisie le 03 - 05 - 2010

La librairie et espace d'arts Art-Libris (le Kram) a reçu récemment les poètes Pierre Garrigues et Aymen Hacen qui, en présence d'un public enthousiaste et chevronné, composé de poètes, de journalistes, d'universitaires et de lecteurs assidus, ont présenté leurs ouvrages récemment parus aux éditions Walidoff, A Tunis, rêvant d'être à Tunis (Sonnets 2002-2009) et Présentielle. Fragments du déjà-vu.
Le maître des lieux, le libraire Raouf Dakhlaoui, a ainsi permis à ces deux auteurs ainsi qu'à leur éditeur, Walid Soliman, qui publie ici ses deux premiers ouvrages en langue française, de présenter leurs œuvres respectives, d'en lire des extraits et de dialoguer avec les présents. Pierre Garrigues, chercheur et universitaire qui vit et enseigne en Tunisie, nous offre dans A Tunis, rêvant d'être à Tunis (Sonnets 2002-2009) une série de poèmes rendant hommage à notre pays qui est devenu le sien et qu'il semble aimer et connaître autant que nous tous. Le poète chante et célèbre en effet le quotidien en partant des choses les plus simples qu'il a l'art de rendre aussi attachantes que profondes, comme dans ce sonnet où il est question de «plomberie», précisément de problèmes de plomberie qu'il relate avec beaucoup d'humour et d'amour, aussi.
Après avoir coupé les tuyaux sans penser qu'il coupait aussi le T d'alimentation de l'étage, le plombier dut recouper son installation, défoncer le mur, dessouder, ressouder (non sans avoir, je l'ai dit, percé la plaque de marbre et un beau carreau marron du mur de la cuisine). Bref, il finit son ouvrage fort satisfait, pas de problème, et il ne reste plus (à moins de fuite) qu'à faire venir un maçon. Ô qui chantera la fière corporation des plombiers marsois : il a inversé l'eau chaude et l'eau froide — tu n'as qu'à changer les têtes —, oui, mais quand on tire la chasse, le chauffe-eau s'allume — gare au postère ! (p. 51)
“Tradition” néo-lyrique
La facture classique de ces sonnets ne les prive pas vraisemblablement de ce besoin de modernité qui anime l'esprit de Pierre Garrigues, auteur de livres de fragments (Fragments du désamour, Paris, L'Harmattan, 2003) et d'essais traitant de cette forme (Poétiques du fragment, Paris, Klincksieck, 1995). Le poète se situe dans une nouvelle tradition poétique, celle qui a renoué avec la forme du sonnet et l'a transformée. Une tradition dite «néo-lyrique» parce qu'elle chante ce qui semble ne pas pouvoir l'être. Pierre Garrigues, comme Jacques Réda, Jacques Roubaud et Guy Goffette, chante de cette manière :
Je ne peux m'empêcher d'être mal ce matin, alors qu'un merle chante, perché sur les fils du téléphone, et que dans mon âme il instille — comme les soirs d'été, au-dessus des jardins, les grands vols d'hirondelles — un trouble venin d'angoisse et de plaisir : la sensation subtile et illusoire que se retissent les fils, en un chant, en un vol, des soirs et des matins où dans la solitude on voudrait être soi, dans l'absence d'écho reconnaître sa voix... De ces matins de printemps et des soirs d'été je me sens déchiré, pensant aux ciels d'Oran sillonnés par le vol sans fin des martinets, au rayon de soleil dans le couloir tremblant... (p. 70)
Le poète né à Oran ne peut oublier son lieu natal, et c'est avec de la nostalgie qu'il l'évoque. Nostalgie qu'il évoque à travers l'invocation de figures substantielles, celles d'Albert Camus, à qui est dédié ce livre «à l'occasion du centenaire de sa disparition», et de Saint Augustin : 2 juillet 2004
L'éclat rose, Laurent, des lauriers le matin — tissé de chants d'oiseaux, de parfums silencieux —, la fraîcheur d'un ficus, comme île sous les cieux de lumière, je vis sur un banc mon destin en un jeu d'échos où, pareil à Augustin, ma langue s'est perdue. Plus rien d'avaricieux dans l'éclair aphasique où demeurer soucieux du seul oubli, mémoire du dernier matin.
Je relis les Carnets de Camus, comprenant enfin sans rien comprendre qu'ici, maintenant sont dans leur illusion mon unique royaume, ce soleil où je brûle dans l'éclat des pierres, mon souffle dans le souffle de l'air qui s'empierre, et mon corps cherchant dans sa mort le corps d'un homme. (p. 37)
Pierre Garrigues aime le dialogue. En témoignent ces «sonnets épistolaires» échangés avec deux amis poètes qui résident en France, Laurent Fourcault et Bertrand Degott. Mais son dialogue avec Aymen Hacen chez Art-Libris ce 9 avril 2010 n'est pas sans susciter l'envie tant les deux hommes, qui nous apprennent que leur amitié est née à la faculté des Lettres de La Manouba en 2002, dans un cours de Pierre Garrigues sur «le truculent Rabelais» (Aymen Hacen), que leur amitié s'est développée grâce à un mémoire de maîtrise sur Cioran, réalisé par l'auteur de Présentielle. Fragments du déjà-vu sous la direction de l'auteur d'À Tunis, rêvant d'être à Tunis (Sonnets 2002-2009), sont complices et que leur complicité repose sur l'amour de la littérature et de la poésie.
Brainstorming
Aymen Hacen a, quant à lui, commencé son intervention par un texte d'hommage publié dans l'un de ses derniers livres, le silence la cécité : «C'était à La Marsa, sur les côtes de la mer Méditerranée, non loin des ruines de Carthage.
Je voudrais apporter une plus-value au substantif « plus-que-parfait », dont l'emploi en français est strictement réservé à la grammaire, qu'il désigne un temps de l'indicatif ou du subjonctif.
Pierre Garrigues aime le quotidien en Tunisie. Le quotidien vécu hier, aujourd'hui et, celui qui est beaucoup moins certain, demain. Son corps se meut lentement mais toujours sûrement, comme si l'imparfait dont il fit l'éloge était aux antipodes de ce qu'il espérait — le plus-que-parfait.» (le silence la cécité, éd. Jean-Pierre Huguet, 2009, préface de Bernard Noël, p. 38-39)
Ensuite, Aymen Hacen a parlé de Présentielle. Fragments du déjà-vu, un «récit», conçu comme un poème en prose composé de vers, de traductions et une sorte de «dispositif», donnant lieu à un genre hybride où la fiction puise sa force dans la parole poétique. Il s'agit, à nos yeux, d'une nouvelle forme, d'un nouveau genre, puisque le côté expérimental de ce « récit » l'apparente plus au genre de «brainstorming», «remue méninges» en français, faisant appel à la participation du lecteur et à sa créativité qui en font partie prenante du travail littéraire. En effet, nous apprenons que la voix qui dit «je» est celle d'un mort qui s'adresse à sa mère, précisément d'un jeune écrivain mort à l'étranger :«Je fus enterré décemment, selon les us et coutumes du Pays, bien que j'eusse préféré qu'on m'incinérât. J'aurais pu formuler ce vœu, mais j'aurais en quelque sorte raté ma mort. De quel œil aurait-elle considéré ce vœu ultime et comment aurait-elle agi pour l'exaucer ? Je serais curieux de le savoir. Mais, quand bien même elle aurait voulu me rendre cet ultime hommage posthume — ce qui me semble impossible —, elle n'aurait guère pu le faire. Aussi bien l'inexistence d'un seul crématorium dans tout le pays que la double rigidité des systèmes administratif et religieux lui auraient rendu la vie impossible. En fin de compte, il faut que les morts s'arrangent toujours pour faciliter, d'une manière ou d'une autre, la tâche des vivants.» (p. 29)
Comme nous pouvons le lire, cette prose est poétique : aussi bien les mots choisis et la syntaxe de la phrase que le rythme et la prosodie nous plongent dans un univers onirique et néanmoins réel, où le mort reprend vie grâce à la poésie, à l'humour et à l'ironie: «Je dois toutefois avouer que toujours j'ai affectionné les cimetières et que je m'y rendais avec un certain entrain. Voir ainsi tous ces visages familiers gagnés par le deuil est, le moins que l'on puisse dire, réjouissant. Il me semble qu'une encre indélébile inscrit subrepticement sur les visages une indicible tristesse et que la perte d'un être cher, moi, est vécue par tous comme le signe avant-coureur de la fin irrémédiable de toute chose. Mais ce ne sont là que de prétentieuses allégations de ma part, car nul vivant ne peut ni se mettre à la place d'un mort ni accepter de s'adonner à un jeu de rôle avec lui. Les morts et les vivants occupent leurs places respectives qui leur sont infligées par l'ordre même de la vie et de la mort.» (p. 30)
Le débat a été nourri par les interventions de prestigieux poètes dont Adam Fethi et Moncef Mezghenni qui ont non seulement interrogé les deux auteurs sur leur travail, mais encore l'ont développé en y mettant du leur. L'éditeur Abderrahman Ayoub (L'Or du temps) s'est engagé dans une réflexion sur la traduction en général et sur la traduction de la poésie en particulier. Cette rencontre est une réussite au vrai sens du terme et nous ne pouvons que remercier l'espace Art-Libris et l'hôte, Raouf Dakhlaoui, de la chaleur de leur accueil et de leur hospitalité.


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