Par Hmida Ben Romdhane La Presse — Votre journal est en train de changer. Dans le bon sens. La Presse est en train d'évoluer. Dans la bonne direction. Cette évaluation n'est pas la nôtre. Elle est celle des lecteurs qui, par centaines, manifestent par téléphone, fax, e-mail, et lettres leur soulagement, et même leur plaisir, de voir de "si grands changements en si peu de temps". En effet, depuis la chute du régime déchu, "La Presse" est devenue un journal libre. Cette liberté retrouvée n'a à aucun moment été menacée ni par le gouvernement de M. Ghannouchi ni par celui de M. Caïd Essebsi. Aucun représentant de ces deux gouvernements n'a jamais appelé "La Presse" pour donner des instructions ou des ordres comme cela se faisait tous les jours jusqu'au 14 janvier. Aucun représentant des deux gouvernements n'a jamais appelé "La Presse" pour se plaindre de la publication sur ces colonnes d'articles très critiques, et parfois même virulents, mettant en cause certaines décisions et pratiques gouvernementales. Nous l'avons dit et écrit. Cette liberté retrouvée nous comptons non seulement la garder, mais la développer. Certes, nous sommes ce que l'on appelle "un journal gouvernemental", c'est-à-dire de service public. En d'autres termes, un journal au service du public plutôt que du gouvernement. Par conséquent, il n'y a aucune raison de se taire quand le gouvernement prend des décisions inappropriées ou dommageables pour les intérêts du pays et du peuple. En tant que journal où le gouvernement détient la majorité des actions, nous sommes tenus d'aider ce gouvernement, certes. Mais nous ne l'aidons pas en le couvrant d'éloges chaque fois qu'il prend une décision. Nous ne l'aidons pas en l'applaudissant à chaque coup. Nous ne l'aidons pas en travestissant la réalité et en dénaturant la vérité. Nous l'aidons en l'interpellant publiquement chaque fois qu'il prend une mauvaise décision. Nous l'aidons en informant le public qu'il a fait correctement son devoir chaque fois qu'une bonne décision est prise. En fait, la vigilance doit être de rigueur des deux côtés de la barrière. Du côté des journalistes, mais aussi du côté des gouvernants. Ceux-ci doivent méditer la fin calamiteuse des régimes de Bourguiba et de Ben Ali. Si ces deux régimes ont eu une telle fin, c'est parce qu'ils ont imposé un système d'information, ou plutôt de désinformation, bâti sur le mensonge, la flagornerie et le culte de la personnalité. Les deux régimes se sont condamnés dès l'instant où ils ont décidé de se déconnecter de la réalité. Dès l'instant où ils ont obligé les médias à répéter inlassablement que les habits du roi étaient les plus beaux, alors que tout le monde savait qu'il était nu. Par conséquent, les gouvernants actuels et ceux qui viendront après l'instauration de nouvelles institutions constitutionnelles ont tout intérêt à être vigilants et à dénoncer comme dangereux tout journaliste qu'ils surprennent en train de leur chuchoter qu'ils sont les plus beaux, les plus sages, les plus intelligents. Leur fin serait semblable à celle de Bourguiba et de Ben Ali s'ils se laissaient griser par de tels adjectifs mensongers et laudateurs. Sur le plan du fonctionnement interne, La Presse est en train de donner l'exemple. La décision n'est plus entre les mains du directeur ni du rédacteur en chef, mais entre celles d'un comité de rédaction composé de journalistes parmi les plus anciens, les plus expérimentés et les plus compétents. C'est ce comité qui décide des sujets de la "Une", de l'éditorial et des articles à publier. Et s'il arrive qu'il y ait divergence au sein du comité sur l'opportunité de publier un article, le problème est résolu à travers un vote. La seule petite faveur accordée au directeur est que sa voix est prépondérante en cas d'égalité entre les "pour" et les "contre". Un journaliste de La Presse a failli alerter la planète entière que son article, dans lequel il s'en prend au directeur du journal, a été censuré. La vérité est qu'il a refusé de soumettre son article au vote du comité de rédaction en dépit de l'insistance et des efforts de ses membres de convaincre le collègue récalcitrant d'accepter la nouvelle règle de fonctionnement démocratique. L'accepterait-il et aurait-il la majorité des voix en sa faveur, son article serait publié dès demain. Enfin, un mot sur le titre de cet article "Sur la voie du progrès". Cette expression était souvent utilisée sous les régimes précédents dans les commentaires politiques et les éditoriaux de "La Presse". Avec le temps, devenue si usée, si insignifiante et si ridicule, elle s'était transformée en sujet de plaisanterie dans les salles de rédaction. On en riait certes, mais un rire jaune, amer, cachant mal une profonde frustration. Cette fois, on l'utilise avec une grande confiance en l'avenir. On l'utilise parce que la Tunisie et La Presse de Tunisie sont en effet sur la voie du progrès.