Par Hmida BEN ROMDHANE Tous les dictateurs du monde ont dû être terrorisés en regardant les images diffusées sur tous les écrans de la planète d'un Laurent Gbagbo, minable et pitoyable, la mine défaite, l'air perdu de celui qui n'a aucune idée de ce qu'il lui arrive. L'humiliation subie, en compagnie de sa femme, par le dictateur ivoirien est à la mesure de l'arrogance et de la défiance affichées des mois durant non seulement vis-à-vis de son peuple, qui lui a préféré son rival Alassane Ouattara, mais aussi à l'égard de la communauté internationale qui a reconnu la victoire de celui-ci. Peut-être le plus terrorisé de l'issue heureuse de la crise ivoirienne est le dictateur libyen, Moammar Kadhafi, qui continue de massacrer son peuple, tout en s'employant désespérément à faire croire que tous ceux qui le combattent sont des terroristes, des traîtres ou encore des rats… Kadhafi a toutes les raisons d'être vert de peur, si l'on peut dire. Car si Gbagbo, pour avoir refusé le verdict des urnes, n'a gagné finalement que le mépris universel et les poursuites judiciaires qui l'attendent, quel sort sera celui du colonel qui n'hésite pas à recourir aux moyens les plus extrêmes pour garder un pouvoir qu'il n'est visiblement pas fatigué d'exercer, en dépit d'une longévité record de 42 ans‑? Une chose est certaine: si, à l'issue de la crise libyenne, Kadhafi s'en sort vivant, il sera poursuivi non seulement pour crimes de guerre commis contre son peuple, mais aussi pour crimes économiques commis contre son pays pour avoir dilapidé pendant des décennies les richesses pétrolières faramineuses de la Libye transformées en richesses familiales. La fuite honteuse du dictateur tunisien, la fin piteuse du despote égyptien, le combat infernal pour la survie que mène le tyran libyen ont provoqué un vent de panique aux quatre coins du monde arabe, où les régimes qui se sentent menacés dans leur existence cherchent désespérément les moyens de désamorcer les bombes sociales implantées un peu partout et à apaiser la colère populaire dont le champ de bouillonnement s'étend du Maroc à Bahreïn. Ces moyens sont de deux sortes‑: ceux des riches et ceux des pauvres. L'Arabie Saoudite, pays excessivement opulent, a eu l'intelligence de prendre les devants en procédant à une vaste redistribution des richesses. Des milliards de dollars qui, en temps normal, étaient partagés par les 5.000 princes du royaume servent maintenant à augmenter substantiellement les salaires et à offrir des avantages matériels à des centaines de milliers de Saoudiens. Le Maroc, pays pauvre, n'a pas les moyens de l'Arabie Saoudite d'acheter la paix sociale à coups de milliards de dollars. C'est ainsi que, pour contrer les mouvements de protestation, déclenchés le 20 février, le roi Mohamed VI a proposé le 9 mars dernier des changements politiques en profondeur et une réforme de la Constitution. Pour le moment, cela semble marcher. Le roi Mohamed VI doit être d'autant plus soulagé qu'il a reçu le soutien des Etats-Unis dont la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, a qualifié le plan de réformes marocain de "sérieux, réaliste et crédible". L'Algérie, pour apaiser les violentes protestations de janvier, semble avoir opté pour une combinaison des moyens de l'Arabie Saoudite et du Maroc: une substantielle redistribution des richesses, suivie d'importantes propositions de changements politiques faites vendredi dernier par le président Bouteflika et qui concernent des réformes de la Constitution, de la loi électorale et de la loi sur les partis, le but étant de "renforcer la démocratie" en Algérie. L'Algérie réussira-t-elle une conversion démocratique pacifique‑? Après une décennie de guerre civile dévastatrice ayant fait plus de 100.000 morts, nul ne peut souhaiter de nouveaux soubresauts qui plongeraient une fois encore notre voisin de l'ouest dans le chaos. Ce souhait n'est pas dicté seulement par des sentiments altruistes ou par des considérations de bon voisinage. Il est dicté aussi et surtout par les intérêts nationaux de la Tunisie qui ne supporterait pas de déstabilisations à grande échelle à la fois en Libye et en Algérie. Les exemples tunisien, égyptien et libyen sont suffisamment importants pour convaincre les dirigeants dans le monde arabe en général et en Algérie en particulier que le temps des dictatures est révolu et que désormais le choix est entre le chaos et la démocratie. Celle-ci peut-elle fleurir aussi par le biais de réformes décidées par les classes politiques existantes? On attend impatiemment la réponse qui ne manquera pas de nous parvenir de chez nos voisins de l'ouest.