«Le soulèvement populaire qui a abouti à la chute du régime de Ben Ali est parti des villes tunisiennes, d'abord celles du Sud entre 2008 et 2010 (région du bassin minier de Gafsa puis ville frontalière de Ben Guardane) et plus récemment, celles du Centre Ouest (Sidi Bouzid, Kasserine, Menzel Bouzaïane, Regueb, Thala…), du Nord Ouest (Kef, Ghardimaou, Jendouba…) et ensuite les villes du littoral (Sousse, Sfax, Gabès, Bizerte, Tunis…). Ainsi, les villes tunisiennes ont été au cours, de ces dernières années, des lieux d'exaspération des tensions sociales sous l'effet du chômage des jeunes _ 30% en moyenne mais pouvant atteindre plus de 50% dans les villes de l'intérieur et les quartiers populaires_ de la pauvreté urbaine (supérieure à 10% dans le Centre Ouest et le Sud Ouest), de la ségrégation socio-spatiale, de l'absence totale de démocratie et des ratées du processus de développement régional et de décentralisation». Ce constat émane de la présidente de l'Association tunisienne des urbanistes, Henda Gafsi, lors de sa présentation avant-hier après-midi des grandes lignes de la thématique choisie par l'ATU pour son séminaire tenu à Tunis sur : «Ville et démocratie : disparités régionales et enjeux urbains». Inadaptées aux besoins des jeunes Le séminaire, qui a réuni des urbanistes, des architectes et des planificateurs urbains de toutes les générations représente la première manifestation organisée par la nouvelle équipe de l'Association des urbanistes, élue quelques jours après la Révolution, le 4 février dernier. Elle s'était d'ailleurs engagée à ce moment là à mettre son expérience et ses compétences au service du peuple tunisien, à travailler pour accompagner l'émergence d'une gouvernance urbaine démocratique et à œuvrer pour un développement régional équitable et durable. «La faiblesse des moyens des collectivités locales, leur allégeance totale au parti au pouvoir, la montée de la corruption, la tenue à l'écart du citoyen des affaires de la cité, l'inadaptation des villes aux besoins des jeunes et des femmes n'ont fait que renforcer l'exaspération des populations urbaines», a poursuivi Henda Gafsi. Cédant la parole au ministre du Développement régional, M. Abderrazak Zouari, celui-ci a relevé l'absence en Tunisie d'une définition claire du développement régional. Excepté sous des ministres tels Mansour Moalla et Mustapha Kamel Nabli, aucune stratégie ne se profilait dans ce domaine. Tout s'esquissait au gré des projets présidentiels et du saupoudrage des prêts du 26 26. Autre défaillance : les statistiques régionales. Beaucoup de données restent dans l'ombre, tel le seuil de pauvreté par gouvernorat, les spécificités sociologiques distinguant une ville d'une autre. Le ministre a cité dans ce contexte les mariages consanguins à Kasserine et ce qu'ils entrainent dans leur sillage comme importante population d'handicapés. M. Zouari a appelé à revoir les découpages régionaux élaborés plus sur une base administrative et sécuritaire que sur des critères d'homogénéité et de complémentarité économique. Il a invité les urbanistes à réfléchir sur leurs possibilités de collaboration à un projet de développement régional. La décentralisation au cœur du débat M. Zouari a émis à la fin de son allocution un vœu : «Si on pouvait d'ici le 24 juillet laisser au gouvernement qui nous suivra un livre blanc sur la politique du développement durable…». Le ministre a bien relevé qu'en Pologne, pays ayant vécu une situation de transition démocratique comme le nôtre, l'une des premières lois qui ont été votées a concerné l'instauration de la gouvernance locale. Les intervenants l'ont d'ailleurs souligné : bien que consacré par la loi organique des Collectivités locales depuis 1975, le processus de décentralisation est resté inachevé. «La commune est mineure politiquement. Elle demeure sous la tutelle de la direction centrale, en l'occurrence, le ministère de l'Intérieur», a affirmé l'urbaniste Jellel Abdelkafi. Il faudra donc focaliser dans le futur sur la concrétisation du projet de la décentralisation. Ce qui comprend la réforme des finances locales, des élections locales, des découpages territoriaux et des responsabilités et compétences locales, notamment dans les domaines de la résolution des problèmes fonciers, de la planification urbaine et de la fourniture et de la gestion des services publics urbains. L'ATU propose de mettre en œuvre un programme de soutien à la gestion des villes, porté par l'ensemble des acteurs urbains. Un programme visant à réduire les disparités de développement entre les villes de l'intérieur et celles du littoral et entre les quartiers défavorisés et ceux mieux nantis, à contribuer à la gestion de situations de crise dans les villes connaissant de graves problèmes d'environnement urbain et de dégradation du cadre bâti et du cadre de vie, totalement ou partiellement liés aux émeutes (Sidi Bouzid, Kasserine, Menzel Bouzaïane, Regueb, Thala, Kef…). L'association veut participer à ce projet, à travers des ateliers d'urbanisme constitués par de jeunes urbanistes diplômés et soutenus par les dispositifs d'appui à l'insertion professionnelle à côté d'associations de citoyens existantes, en cours de création ou prêtes à s'organiser.