Par Rym Ghachem Attia * J'ai voulu comprendre la fascination qu'exerçait une émission intitulée «El mousamah karim» chaque vendredi à 21 heures et qui, d'une manière générale et contrairement au sens de son intitulé, n'aboutissait à aucune réconciliation entre les parties invitées. En effet, cette semaine c'était un homme de plus de cinquante ans, polygame, qui n'a pas arrêté d'insulter sa seconde femme ; seconde femme qui a élevé toute seule ses six enfants après son départ et son mariage en Libye où il a fondé une seconde famille. Les deux parties n'ont pas arrêté de s'injurier devant tous les téléspectateurs sans aboutir à aucun compromis. Ce déballage affectif peut être dangereux et irrécupérable ; notre société arabo-musulmane n'étant pas adepte de ce genre d'« exhibitionnisme ». Pire encore, juste après il s'agissait d'un enfant de 12 ans retrouvé assassiné après quatre jours et dont on ignore à ce jour l'identité du ou des meurtriers. Les parents ainsi que le frère et la sœur rapportaient une souffrance intolérable. Désolé Si Abderazek vous êtes journaliste et vous ne pouvez pas vous instaurer en thérapeute en voulant analyser en direct devant des milliers de téléspectateurs la souffrance d'êtres démunis. La « question dangereuse » qu'il s'évertue à poser à chaque reprise est effectivement dangereuse pour lui, la personne qu'il a devant lui et nous. En effet, le comble a été d'amener sur le plateau un malade mental qui dit avoir été hospitalisé pour soins et qui parle d'une «Jeniya». Ce patient parle des soins qui lui ont été prodigués et vous lui posez des questions qui ne peuvent que discréditer le corps médical et paramédical en général et les psychiatres en particulier. Si Abderazak, la santé mentale est un réel enjeu dans notre société et avant d'aborder une spécialité aussi belle qu'énigmatique il faut faire son métier de journaliste et se documenter. Je vais essayer de faire un rapide survol de cette spécialité. Qu'est ce que la folie ? C'est une énigme ! C'est un phénomène particulièrement rebelle à la compréhension intellectuelle. Pour beaucoup, c'est une maladie. Une maladie certes particulière puisqu'elle affecte les facultés cérébrales, mais somme toute une maladie comme les autres qu'il faut débarrasser de tout le halo de sacralité qui l'a entourée. Cette approche, qui n'est pas sans de puissants arguments, laisse passer l'essentiel du phénomène purement naturel. Elle participe des deux, ce qui la rend extraordinairement difficile à cerner. Elle affecte l'humanité dans ce qu'elle a de plus spécifique : la capacité de réflexion, la capacité de se situer soi-même, de définir sa propre identité, de se comporter en sujet responsable de ses pensées et de ses actes. Elle peut avoir une origine organique : il y a des états qui provoquent le délire (perdre la raison ou encore la conviction inébranlable en des croyances inébranlables, des croyances pathologiques dont les faits non existants non modifiables par la confrontation à la réalité)). Une violente fièvre peut avoir cet effet, sans parler des maladies comme la syphilis. Mais de l'autre, il est clair que la folie est un phénomène qui emprunte énormément à la culture et on ne délire pas en Tunisie comme en France. La folie nous met devant un véritable casse-tête. Ce casse-tête a mobilisé nombre de bons esprits depuis deux siècles. Nous n'avons que des lumières balbutiantes sur ce dont il peut s'agir et peut-être tout juste la capacité de poser le problème, mais certainement pas de le résoudre. Vous remarquerez qu'on ne sait même pas vraiment nommer ce phénomène. L'histoire du vocabulaire est très intéressante dans ce domaine. On a dit longtemps «insensé». Puis on a parlé d'aliéné au XIXe siècle. On dit plus couramment aujourd'hui «maladie mentale»; pas très convaincant. Le vocabulaire savant dit : «psychose» une notion qui pose des tas de problèmes. Nous sommes déconcertés, même pour mettre un nom sur ce dont il s'agit. Où passe la frontière entre la folie et la raison ? Il y a des tas de fous très raisonnables, capables d'argumenter impeccablement leurs propos (les paranoïaques) La folie n'est pas le contraire de la raison. Mais il y a folie et folie. Là encore, il faut prendre en compte la dimension culturelle. L'excès, l'extravagance, l'inversion, la déraison organisée, le renversement des apparences, ont une longue tradition infiniment diversifiée dans toutes les cultures. Quant aux fous agressifs, les furieux c'est une des plus vieilles images de la folie, on les ligotait, on les enchaînait et actuellement, en Tunisie comme dans le monde, nous disposons de tout un arsenal thérapeutique bien codifié pour les traiter et pour éviter des récidives. Cette image des soins psychiatriques en Tunisie, que vous essayez à plusieurs reprises de discréditer, porte atteinte à la profession médicale et à la confiance que nous font les malades et leur famille. Les médias ont un rôle important et une responsabilité à jouer dans le respect des institutions. Un journaliste digne de ce nom doit se documenter, être sûr de la véracité des propos qu'il diffuse et ne pas rejeter sur son invité les responsabilités de ses paroles surtout si l'invité en question dit avoir souffert de troubles mentaux. Où est l'éthique du journalisme ?.Non, M. Chebbi «Karamet» le corps médical ne doit pas être un jeu ni un instrument d'audimat, c'est trop grave et trop dangereux, vous jouez avec ce que l'être humain a de plus noble et de plus précieux : «Sa conscience». La confiance entre médecin et patient est le meilleur atout d'une réussite thérapeutique. Je terminerais par une citation de Rabelais, chère à notre doyen Abdelaziz Ghachem «science sans conscience n'est que ruine de l'âme».