La Presse - Retrait définitif du Conseil de l'Instance supérieure de la protection des objectifs de la révolution et de la transition démocratique, opposition à la levée de l'immunité de Farhat Rajhi, magistrat de son état et ancien ministre de l'Intérieur, refus de la création d'un syndicat, critique sévère contre le Premier ministre, appel à la démission de l'actuel ministre de tutelle…Les revendications de l'Association des magistrats tunisiens se sont multipliées ces derniers temps et la tension est montée d'un cran, hier matin, lors du sit-in organisé devant le ministère de la Justice. Conduite par les membres de l'association, une marche, à laquelle ont participé un peu plus d'une centaine de magistrats, a parcouru les quelques mètres séparant le Palais de Justice du siège du ministère. Devant la porte bien fermée et gardée par des agents de l'armée nationale et de la police, les participants ont scandé plusieurs slogans, dont certains étaient peu amènes avec des propos durs lancés à l'adresse du Premier ministre et du ministre de la Justice dont ils demandent, d'ailleurs, la démission. Les revendications se résument en sept points dont notamment la dissolution immédiate du Conseil supérieur de la magistrature, l'assainissement du ministère de la Justice et de ses pendants à l'intérieur des cours de justice de ce que l'AMT appelle des symboles des malversations, l'implication des magistrats, à travers leur association, dans les questions relatives à la justice, l'arrêt de l'esprit de conspiration du ministère visant l'association, l'instauration du principe d'une justice transitionnelle et la suppression de la tutelle du ministère de la Justice sur le secteur dont le parquet. Le président de l'Association qui haranguait la foule n'a pas manqué de préciser que les revendications ne sont pas corporatistes mais elles revêtent un caractère national puisqu'elles se résument en « une justice indépendante et transparente en rupture avec le passé », ajoutant que « l'AMT ne veut pas polémiquer avec l'armée dont elle respecte l'abnégation et le rôle dans la réussite de la révolution ». Allusion au communiqué du ministère de la Défense qui a rejeté la position du bureau de l'Association des magistrats concernant l'affaire Farhat Rajhi indiquant que « l'immunité dont bénéficient les magistrats n'est pas absolue et qu'elle ne peut être une échappatoire ». Ce qui n'a pas empêché les participants au sit-in de lancer des slogans de mise en garde comme ce « non à la tutelle militaire sur l'autorité judiciaire ». Lequel slogan a fait sursauter une jeune secrétaire dans un bureau d'avocat qui n'a pas aimé que l'on s'en prenne à « l'armée qui a protégé et continue à protéger le peuple pendant et après la révolution ». Et puis, ajoute-t-elle, « pourquoi ce sentiment de corporatisme de la part de l'AMT qui veut coûte que coûte protéger l'un des siens. Ne vaudrait-il pas mieux laisser la justice faire son travail et faire appliquer la loi à tout le monde ? » . Un juge d'instruction explique, pour sa part, que « le ministère est resté sourd à nos revendications. Il cherche par tous les moyens à noyauter les magistrats en favorisant la création d'un syndicat qui lui est inféodé, alors que c'est l'Association qui a milité durant les dernières années pour l'indépendance de la justice et l'inviolabilité des droits des magistrats ». Et d'ajouter : « Ce sont les juges exerçant à l'intérieur du pays qui ont le plus souffert de l'instrumentalisation de la justice. C'est pourquoi lors de la dernière grève, le taux de participation dans certaines cours hors Tunis a atteint des pics de 100% ». C'est l'avis que partage cette jeune magistrate venue spécialement de Monastir pour participer à ce sit-in. « Qui a peur d'une justice indépendante ? », s'interroge-t-elle, ajoutant que « nous allons continuer notre combat jusqu'à la réalisation de nos revendications ». Examen de trois projets de loi Les slogans scandés par les magistrats, comme celui « il n'y a pas de liberté pour le peuple sans une justice indépendante », ont trouvé écho chez les passants que la police tenait à l'écart pour éviter tout dérapage et toute provocation. Certains ont même amené spécialement leurs propres banderoles et pancartes pour les exhiber notamment devant les caméras de télévision, tels ces parents de Farhat Rajhi — du moins c'est ce qu'ils nous ont déclaré — qui montraient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Rajhi, l'homme de la libération » ou encore « Non au jugement de Rajhi, l'homme des principes et de la vérité ». Slogans qui résonnent bien avec le contenu de cette grande banderole en tissu que dressaient soigneusement certains participants et sur laquelle il est écrit « La deuxième révolution de la dignité a commencé avec Farhat Rajhi ». Derrière les fils barbelés dressés devant le siège du ministère, un homme, une jeune fille et un jeune garçon, qui semblaient être ses enfants, montraient des pancartes dans lesquelles ils remercient mille fois une chaîne satellitaire qui, selon eux, a mis à nu l'incapacité de nos médias à se hisser au diapason de la révolution. «Allez comprendre », lança un passant qui demande à un policier s'il ne devait pas leur retirer ces pancartes. «Tu parles, lui répond-il, si je m'approche d'eux, ils feront un scandale et dénonceront l'intrusion impromptue de la police dans la manifestation. Non, ajoute-t-il, nous avons des instructions fermes pour ne pas intervenir dans des cas pareils». Au bout de quelque deux heures, le sit-in a été levé. Dans l'après-midi, les magistrats devaient réunir leur Conseil national pour examiner la question de la levée de l'immunité de Farhat Rajhi et ses implications sur les rapports de l'Association avec les autres partenaires, les projets de loi relatifs à la profession d'avocat, au Conseil supérieur de la magistrature et à l'organisation de la mutuelle des magistrats. (Nous y reviendrons).