Par Rafik BEN HASSINE * Dans La Presse du 24/05/2011, pages «Opinions», deux opinions semblent se répondre l'une à l'autre. La première opinion de Zouhaïer Ben Amor est intitulée «Aujourd'hui, l'heure est grave, la Tunisie a peur». Celle qui l'illustre et lui donne raison est celle du docteur Hichem Moatemri, intitulée «La peur d'un citoyen tunisien». En effet, devant l'éparpillement des voix démocrates, les islamistes et leurs affidés (partis croupions) sont certains de rafler la mise lors des prochaines élections, quelle qu'en soit la date. Ils sont aujourd'hui crédités de 35 à 40% des voix. Quel autre parti peut prétendre à de tels scores, d'autant plus que les moyens financiers (tunisiens et étrangers) et humains des islamistes sont sans équivalent. Le mouvement islamiste, expression politico-idéologique des milieux d'affaires conservateurs (du genre Sakhr El Matri, promoteur de la banque «islamique»), est en train d'agréger autour de lui les anciens du système de ZABA, les réactionnaires de tout poil, et tous ceux qui craignent, à tort ou à raison, une situation de chaos. Sachant que l'ex-RCD de ZABA est à jamais décrédibilisé aux yeux d'une majorité de Tunisiens, le mouvement islamiste veut tirer les marrons du feu en jouant sur une image de parti responsable, d'ordre, rassurant pour les milieux d'affaires tunisiens et étrangers. N'oublions pas quand même que, quelques mois avant le 14 janvier, une centaine de cadres dirigeants islamistes avaient lancé un appel appuyant la candidature de ZABA pour un sixième mandat. Un grand syndicaliste tunisien a affirmé que des cadres de l'ex-RCD auraient trouvé refuge au sein de la galaxie islamiste en vue des prochaines élections. Logique renvoi d'ascenseur‑: donnant-donnant. Ils recueillent ZABA et consorts dans leurs paradis islamistes d'Orient, et ils recueillent des anciens cadres RCD, discrètement, dans leurs partis. C'est logique et cohérent. Nous sommes donc face à deux possibilités aussi graves que probables. 1er cas : les islamistes gagnent les élections et prennent le pouvoir. Alors nous aurons un régime islamiste, dont le monde aujourd'hui nous offre des modèles plus sinistres les uns que les autres: le saoudien, le soudanais, l'iranien, sans parler du modèle taliban. La Tunisie ne disposant pas de ressources pétrolières comme l'Arabie ou l'Iran, il ne nous reste plus que deux modèles à notre portée : le soudanais ou le taliban. Bon courage, messieurs (pardon, mesdames‑: dans ces modèles, vous n'êtes pas reconnues citoyennes responsables). Des esprits éclairés, démocrates et savants nous disent que le modèle turc fonctionne aujourd'hui avec des islamistes au pouvoir. On oublie vite que depuis les années 20, les Turcs ont effacé, par volonté politique, les traces de leur culture arabe (écriture et langue arabes remplacées par l'écriture latine et la langue turque), et que l'Etat turc est, constitutionnellement laïque, c'est-à-dire qu'il n'y a aucun lien entre Etat et religion. La Tunisie est très loin de tout cela. Donc ne comparons pas l'incomparable. 2e cas : les islamistes ne prennent pas le pouvoir, pour une raison ou une autre, tout en ayant recueilli le plus de voix. Alors c'est le modèle algérien qui nous vient à l'esprit, avec sa guerre civile de 10 ans et ses 100 mille morts, sans parler des milliers de cadres ayant fui le pays pour sauver leur peau. Les évènements lointains (attentat de Djerba) et récents (commandos islamistes tunisiens interceptés, armes et matériel militaire sophistiqué saisis), intimidations et insultes envers les femmes et les gamines non voilées, émeutes anti-juives, discours séditieux dans certaines mosquées, transmis par haut-parleurs à toute la population, chaînes satellitaires aux ordres, etc, ne sont que les facettes multiples d'un même commanditaire, dont le message est clair et simple‑: nous sommes les exécuteurs de la volonté divine sur cette terre. Si vous n'êtes pas d'accord avec nous, vous allez en baver‑: nos kamikazes sont prêts à tuer et à se faire tuer, partout et à n'importe quel moment. Alors, que faire ? Dans les années 30, les nazis sont arrivés au pouvoir par des élections libres. Après leur expérience, ô combien néfaste pour eux et pour le reste du monde, et les dizaines de millions de morts, les Allemands se sont dotés d'un garde-fou institutionnel (article 21) empêchant tout retour au nazisme par les urnes. Pas de liberté aux ennemis de la liberté. A bon entendeur, salut ! R.B.H. * (Ingénieur informaticien à la retraite)