Par Wafa Kammoun* Un vieux factotum (artisan, bricoleur), que je traitais d'ignorant et non cultivé, me disait un jour, et quelle sagesse dans ce qu'il disait : " Ceux qui s'honorent de ne pas savoir enfoncer un clou, couper une planche, réparer une serrure, creuser une fosse, planter un arbre…, au sein de la civilisation moderne, technique et industrielle, ceux-là devraient vivre dans une caverne. Ce sont des hommes préhistoriques ". Et combien parmi nous ne savent pas enfoncer un clou, couper une planche, ou réparer une prise. Ce n'est pas de leur faute. La faute incombe à l'école, à l'enseignement, aux maîtres et aux maîtresses qui nous ont dressés, forcés et habitués à rester assis, les bras croisés. Et l'habitude devient une seconde nature. Le système pédagogique à l'école traditionnelle est réellement dommageable. Il nous a causé un dommage irréparable dans l'éducation, l'épanouissement et l'exercice de nos mains qu'il essayait de neutraliser et de paralyser. Et vous savez, chers messieurs, les pouvoirs magiques de cette main : tous ces objets autour de nous, tous ces bâtiments, ces choses, ces outils, ces machines, ont été fabriqués, construits, bâtis grâce à la main. La civilisation humaine serait autre chose si l'être humain ne possédait pas une main. Un penseur antique disait : " L'homme est intelligent parce qu'il a une main." D'où la nécessité de l'éducation manuelle et de l'initialisation au travail manuel productif à partir de la cinquième année de l'enseignement primaire, comme c'est le cas dans les écoles suisses, allemandes et suédoises : jardinage, menuiserie, tissage, couture, cordonnerie, broderie, imprimerie, reliure, montage et réparation des montres, portatifs, transistors, petites machines, élevage des lapins, des oiseaux, des pigeons, du ver à soie. etc. Je me rappelle qu'au début des années 80, on avait mis une application dans un grand nombre d'écoles dans des régions rurales et urbaines, un projet d'initiation aux travaux manuels. Et je ne sais pour quelles raisons on a enterré ce projet. Et pourtant, l'expérience a montré que de nombreux élèves classés toujours derniers et jugés faibles et arriérés dans les cours théoriques sont devenus fort brillants pendant les séances des travaux manuels qui ont contribué à épanouir et à développer leurs dons et aptitudes. Cette éducation vise à ce que l'enfant ressente le goût et la valeur du travail, sa signification vitale, et les prodigieuses victoires de la main et ses pouvoirs créateurs illimités. C'est dans cet esprit, dans cette perspective et dans ce cadre — je crois — qu'il faudrait placer, discuter, analyser et comprendre les objectifs et les finalités de l'éducation manuelle. Jadis, on ne trouvait à l'école que du verbiage, du verbalisme, l'apprentissage théorique, la formation intellectuelle abstraite. On fournissait à l'enfant un lot de connaissances théoriques. Cette formation in abstracto aboutit à des échecs répétés. Le résultat fut catastrophique. Des millions et des millions de jeunes gens sortis des écoles, collèges ou lycées ne savent rien faire…. Ils ne peuvent travailler qu'à l'aide du stylo sur du papier… Ils n'ont rien appris durant leur scolarité. Ils n'acceptent aucun métier manuel. Ils cherchent un poste dans une administration qui utilise comme seul outil " le stylo et le papier ". Ce sont tous des inadaptés sociaux, qui ne peuvent s'insérer dans divers domaines de production. En novembre 1981, M. Bourguiba Junior écrivait un article de presse dans lequel il disait notamment : " Le résultat et le fruit de notre enseignement, c'est la formation des chômeurs en col blanc ". C'est dans cet esprit qu'il faut considérer et mettre en exergue l'importance de l'initiation aux travaux manuels (ITM), dès le plus jeune âge. Vouloir séparer et distinguer les intellectuels des manuels, c'est une forme de racisme. Vouloir s'élever au monde intellectuel pur, c'est une ingratitude. L'activité manuelle entraîne le respect des gens, développe l'esprit coopératif, suscite le goût du travail bien fini et bien soigné, éveille le sens des valeurs, incite à comprendre, à entreprendre, à revaloriser et à découvrir les larges perspectives du monde du travail productif, et contribue à diminuer les échecs et déchets scolaires, à résoudre en grande partie, et dès la base, le problème du chômage qui représente réellement un véritable fléau social, sachant que l'oisiveté est mère de tous les vices. A ce propos, le khalife Omar Ibn El Khattab disait avec clairvoyance et pertinence : "Les mains ont été créées pour travailler. Si elles n'ont pas été initiées et entraînées à œuvrer et exercer dans les bonnes œuvres, elles déraperont dans les mauvaises œuvres, dans les mauvais actes et dans les affaires fâcheuses. Il faut les occuper à œuvrer et exercer dans les bonnes œuvres."