Par Abou-Séoud Messadi* Sans vouloir ni pouvoir être antisémite (Ohé, les frères islamistes, les juifs ne sont-ils pas les petits fils d'Abraham, notre arrière-arrière-aïeul ?) ; et sans pouvoir ni vouloir être révolutionnaire non plus, j'ai vécu surtout l'avant et aussi l'après-14 janvier 2011. L'Etat-providence de l'Indépendance nous a beaucoup donné. L'Etat-connivence du 7 novembre nous a beaucoup pris. Déséquilibres Entre les deux, quel bilan, quel résultat ? Le 14 janvier, sommes-nous sortis si déficitaires ou déficients ? Franchement non et non ! Malgré tous les sévices de Zaba & Co et toutes les arnaques qu'ils ont pratiquées. Certes le déséquilibre entre les régions était patent mais il y avait un quelconque équilibre social malgré l'énorme exode (des cerveaux, rural ou lampédusien), exode qui palliait ledit déséquilibre régional et lui servait de soupape. Et personne ne peut non plus nier le déséquilibre grandissant entre les diverses couches et classes sociales. Puis le 17 décembre, tout le monde sait comment c'est parti à Sidi Bouzid. Une affaire très très individuelle qui a malheureusement fini en drames unipersonnels. Répression Le pouvoir en place, usé ou repu, a comme à l'accoutumée manqué le coche. Répression inutile ou alimentée par des éléments de l'intérieur ou de l'extérieur de la cuirasse du pouvoir. Seule l'Histoire établira la vraie réponse. Et aux zones proches de Sidi Bouzid d'enchaîner via l'Ugtt et ses unions régionales, en passant, surtout, par Sfax ! Sfax ! Oui Sfax, le deuxième centre de richesse en Tunisie, après la capitale. Et Sfax, ce n'est pas la banlieue ouvrière misérable, pauvre et révolutionnaire. Mais lorsque nous avons vu à quel parti s'est rallié l'un des premiers responsables Ugtt de Sfax, un élément de réponse nous a été fourni. Clairement. Impossible d'oublier les victimes tombées ou touchées dans la suite des événements, mais beaucoup d'autres personnes ont voulu en profiter, sous couvert de pauvreté, de chômage, d'inégalités ou de mauvaise répartition des richesses et des pouvoirs aussi ! Dépression Quelques ou plusieurs milliers d'habitants du Grand Tunis ont entraîné le retrait de ZABA le 14 de l'an nouvellement arrivé. Depuis, un président de la République, puis un deuxième ; un gouvernement puis un deuxième avec le même Premier ministre-ex résident de la République. Des ministres obligés de démissionner sous la pression de quelques médias. Un autre gouvernement sans politiques qu'on nous a dit. Des gouverneurs obligés de se retirer sans avoir pris fonctions. Une valse à mille tempos ! Les sit-in où on a vu même le chef d'état-major, les grèves, des journalistes, des avocats, des juges ; n'y manquaient que les ministres ! Les laïcs, les ultras, les femmes, les élèves, les snipers, les rappeurs, les frappeurs, la police ; n'y manquait que l'armée nationale ! Les prisonniers, leurs gardiens, les délinquants libres, les auteurs de vandalisme, les incendiaires, les voleurs, les tueurs, la police politique; et j'en tais. La foire ? A qui crie le mieux, à qui est le plus fort! La Révolution quoi ! Entre-temps, le techno-gouvernement, la Haute Instance, la Commission d'enquête, celle de lutte contre la fraude, la compromission etc, etc. pataugeaient dans la mare des partis, des indépendants, des ex-RCD, des nouveaux révolutionnaires, des mal partis et des bien- arrivistes ! Compositions, compétences, articles 56, 57, 8 ou 15, l'imbroglio presque parfait, car chacun était d'accord puis ne l'était plus, disait et se contredisait ; créait son parti, son syndicat ou son ONG ; réclamait sa place autour de la table du festin puis se tirait ; tirait à boulets rouges sur tel ou tel, ou simplement sur l'autre ! Pour faire durer le plaisir ! Celui de la révolution ! Psychanalyse Et dans tout cela, le pays, l'économie, le travail ? Violences en dents de scie, la fièvre révolutionnaire qui monte puis descend. Le médecin appelé à la rescousse n'y peut rien, des calmants par communiqués ou des pommades par interviews… Les étals et constructions sauvages, le juge-ministre-propre, les alliances sombres et sauvages qui commencent entre les ex-manitous du pouvoir déchu et les nouveaux prétendants au pouvoir par l'Islam, les avocats (encore), les experts-comptables, les huissiers, les magistrats, les taxistes, chacun y met du sien et avec la dose adéquate. Bref, un décret-loi, ou plusieurs tant qu'on y est, pour instituer, dans chaque circonscription électorale réelle ou virtuelle, un mur de réclamations, ou encore mieux, de lamentations sur lequel chaque Tunisien insatisfait, mécontent ou revendiquant, viendrait déverser sa hargne ou ses larmes. Et que ces murs soient sans autorisation de bâtir, s'il vous plaît ! Nous avons aujourd‘hui besoin d'une thérapie collective, un suivi social, psychanalytique. Et des lamentations, nous en avons sur l'ère novembriste mais aussi sur l'ère post –novembriste, sur la révolution des jasmins et sur nos lendemains difficiles ou du moins incertains. Ces lamentations sont plus utiles que toutes réclamations légitimes. Débarrassons-nous, chacun, d'abord des démons de l'incivilité, de notre schizophrénie, lamentons-nous, chacun, sur l'absence totale de toute autocritique, sur nos apports respectifs à ce pays. Peut-être que le transfert salvateur pourra s'effectuer : de l'amour du soi à l'amour du pays ? Est-il interdit de rêver ? Même si le réveil est dur.