Par Khaled TEBOURBI Des violences de «barbus», encore, dimanche à la salle CinémAfricaArt : projection interrompue, local et matériel endommagés, gérant de salle agressé. Et tout cela au vu et au su de tout le monde, à visages découverts, en «terrain conquis», avec, en prime, une «prêche» criarde, arrogante, menaçante, devant caméras et micros, pas même concernée par la présence proche des forces de l'ordre qui, soit dit en passant, ne paraissaient pas tellement enclines à intervenir, qui y ont mis du temps en tout cas, qui avaient la main molle. D'où sortent ces «skinheads» à la tunisienne? Ces illuminés de la religion auxquels n'échappent ni meetings, ni mosquées, ni manifestants, ni passants, et maintenant ni lieux de culture ou de loisirs agissent-ils pour leur propre compte? Sont-ils régentés par une organisation, par un parti? Bénéficient-ils de la complaisance particulière des autorités? Sont-ils au-dessus des lois? Règnent-ils en maîtres absolus de la rue? Les récidives s'accumulent depuis le 14 janvier. En contradiction flagrante, confondante, inquiétante, avec ce que les élites politiques, le gouvernement, le gros de la population, pensent être un moment historique de liberté et de démocratie. L'incident scandaleux, honteux, du CinémAfricArt est une ligne rouge franchie. On a touché à l'art, on a violenté la culture. On s'est attaqué à des symboles de la liberté et de la démocratie pour lesquelles le pays a enduré des souffrances, et sacrifié des vies. La coupe est pleine désormais Il faudra bien stopper l'hémorragie. Il faudra bien neutraliser les fauteurs, identifier et confondre les responsables qui se dissimulent derrière eux. A couleur variable Les premiers désignés, à chaque fois, sont les activistes du parti «Ettahrir», parti salafiste auquel on a refusé le visa. C'est le plus probable. Il suffit de regarder les «faciès». Il suffit de distinguer le ton et la manière. On reste perplexe, toutefois. Ces groupes d'intégristes n'en sont pas à leur premier méfait. Ce sont de fieffés récidivistes. D'où vient qu'ils soient encore libres de leurs mouvements? D'où vient qu'ils sévissent encore? Le refus de visa n'équivaut-il pas à contrôle, à redoublement de vigilance et de surveillance? Apparemment rien de tout cela. Avant-hier, à l'intérieur comme devant le CinémAfricArt, ceux que l'on voyait en action, avaient plutôt l'air d'agir dans «leur bon droit». Salafistes, extrémistes, ultras sous tous les sens du mot, mais curieusement lâchés dans la nature. Pas seulement sereins, pas seulement prêcheurs et harangueurs, mais encore nullement suspectés, nullement gardés à l'œil. On ne sait si, depuis dimanche, la police a changé d'attitude à leur égard. L'incident était trop grave. Il n'empêche que l'on aura mis bien du retard à s'en occuper pour de bon. Des mosquées avaient été investies déjà. Des restaurants et des bistrots. Des meetings politiques aussi. Des jeunes filles sans voile n'y ont pas échappé non plus. Quasiment bousculées, proprement terrorisées et menacées de sanction pour avoir enfreint «les limites du Tout-Puissant». Nonobstant tout cela, on n'a pas eu vent d'un réel coup d'arrêt. La délinquance ordinaire, les barrages de route, les bavures de chauffards et de motards peuvent bien perdurer à l'abri de la police». C'est le lot dû à la révolution, c'est «la logique» de la fuite sécuritaire. Mais des cogneurs et des casseurs qui s'agitent au nom de la «khilafa» et des dogmes les plus insensés et les plus nocifs de l'intégrisme religieux, et que l'on laisse circuler à leur guise, voilà qui eût mérité attention, par-dessus tout, prévoyance, tout au moins, examen et prudence. Ettahrir, un écran A vrai dire, dans ces affaires de violences islamistes, les forces de sécurité doivent être comme nous tous. «La cible» n'est pas toujours claire pour eux. On désigne les salafistes du parti «Ettahrir», mais nul ne sait avec exactitude s'ils sont les seuls impliqués. Des «ultras» de tous bords peuvent se mêler, ici et là, aux opérations déclenchées. Des extrémistes de gauche, des militants d'Ennahdha, et d'autres encore. Le parti «Ettahrir» sert parfois d'écran à bon nombre de pêcheurs en eau trouble. Des chefs de parti en meeting en ont apporté la preuve. On l'a aussi remarqué à l'occasion de certaines manifestations. L'islamisme est à couleur variable. Quand se fait-il modéré, et quand décide-t-il de monter en première ligne ? Il dépend de certains leaders de formations politiques que la frontière soit reconnaissable, délimitée avec précision. On n'en est pas là encore. Et c'est, hélas, sur cela que jouent les «politiciens de la religion». Toujours à «la lisière» de l'islamisme et de l'intégrisme. Ni entièrement responsables, ni tout à fait innocents.