On nous a promis du flamenco, nous en avons été partiellement privés. En guise de concert du samedi 9 juillet, nous avons eu droit à une leçon, sorte de master class dans le genre. Un guitariste virtuose, Juan Carmona, plusieurs albums à son compte, dont un orchestral, présenté par Yehudi Menuhin et Christina Hoyo, c'est dire! Un chanteur gitan connu, El Kiki et un percussionniste José Rodriguez. Première leçon donnée par Carmona, l'histoire du Flamenco, suivie de démonstrations à la guitare, les "palmas" ou comment battre des mains en solo ou en groupe, le Cojon, un instrument de percussion importé du Pérou, et puis la voix de El Kiki, envoûtante qui monte au ciel avec une facilité déconcertante, l'auditoire est dompté. Trois quarts d'heure plus tard, le trio salue en battant des mains sur le mode "sourd" (les paumes fermées), deux petits tours et puis s'en vont. Le public n'est pas rassasié de musique, il en redemande, vainement. Les gitans sont ainsi, mutins et imprévisibles. Des jours, ils font de l'épate et ça marche. Le surlendemain, lundi 11, fin de la résidence des artistes à Dar Cherif, soirée de clôture de la rencontre Melos. Le public afflue en grand nombre, c'est la générale avant le départ du groupe en tournée européenne avec le spectacle créé in situ, toutes les formations sont là : grecque, tunisienne et espagnole, dirigées par le percussionniste Keyvan Chemirani qui nous déclare : "Nous avons accompli du beau travail, la qualité des musiciens est telle que tout a été bouclé dans les délais. On est bien dans le concept de Melos, qui implique la séparation et la réunion des cultures, vous allez être étonnés". Plus que de l'étonnement, le public fut captivé par la prestation partie en flèche, droit au cœur. Un orchestre en forme olympique, Dorsaf Hamdani éblouissante dans ses trémolos maîtrisés, Carmona l'accompagne à la guitare, c'est l'Andalousie qui nous asperge de son bonheur, El Kiki, grand comme deux pommes, attaque des morceaux à fendre les cœurs, Papapetropoulos au saz bulgare, répond à ses gémissements, Kiriakos caresse les cordes, la tête rasée, penché sur son ûd, concentré sur son jeu, joint par le qanûn de Rochdi M'Farredj (Maroc) et le violon de Mohamed Lassoued. Sans transition, Drossos Koutsokostas élève la voix en douceur, monte, gonfle ses pectoraux, dandine sa tête, il chante l'exil, le qanûn intervient, suivi de la guitare, Dorsaf prend le témoin avec El ghorba finani( l'exil), alternance des voix, des instruments, est- on dans un phalanstère de Fourrier. Utopie ? De toute façon, on est tous exilés quelque part. Avec des sons pareils, on aimerait bien perdurer l'exil. La salle frémit d'émotion. Le temps s'écoule, la lune décroît, les poils se hérissent, un torrent d'applaudissements. Keyvan annonce un morceau de fin, Allahou Akbar (Dieu est grand). Dorsaf commence, Ya habib Allah, El Kiki continue, avec aisance, des Ah et des Oh‑! d'une raucité caressante, il passe le témoin à Koutsokoulas, la voix de M'Farrej déchire l'air, tremble, frissonne, monte, le souffle presque en apnée, le nôtre est coupé. Nous surprend cette impression de voir un paysage frémissant de lumière et autour des hommes de toutes religions chantent les dieux.