Les spectacles se suivent sur la scène des différents festivals et pourtant le secret demeure toujours bien gardé : qu'est-ce qui fait la réussite d'un spectacle musical ? En réalité, avec tout ce que nous lisons, tout ce que nous écoutons et tout ce que nous voyons, nous avons parfois tendance à perdre le nord. Vraiment. Une tête d'affiche, une voix juste et timbrée, une interprétation sans failles, des musiciens chevronnés, une scénographie travaillée, une contextualisation… En apparence, ce sont là tous les ingrédients qui permettent d'assurer la réussite d'un concert, dans un festival de renommée de surcroît. Pourtant, un tel «bon» spectacle peut parfois cacher des faiblesses, des «hics» sur lesquels il est important de revenir. Un des cas les plus marquants dans cette dernière édition du festival de la Médina est certainement le récital de Nabiha Karaouli. On peut observer d'abord que le public n'a pas accouru pour venir assister au concert de cette grande chanteuse tunisienne. Ceux qui ont consenti le déplacement étaient, en effet, très peu nombreux, pour être tout à fait franc. Pourtant, la cantatrice est loin d'être en mal d'assise populaire, et la médiatisation de ce spectacle était, quant à elle, assez correcte dans l'ensemble, surtout avec le spot diffusé la veille, sur la chaîne de la télévision nationale. De quoi s'étonner donc et de se poser des questions : cela est-il dû au fait que l'artiste venait de se produire quelques semaines auparavant au Théâtre romain de Carthage : problème d'agenda, donc ? Aux prix assez salés des billets ? Ou au lieu même — le Théâtre municipal — qui pourrait être inapproprié (dans le sens de trop grand) à la circonstance et à la nature des spectacles présentés au festival de la Médina ? Tout cela à la fois, dirions-nous. Côté prestation, la fille de Gafsa était fidèle à elle-même et à son profil, renouant avec ses débuts. Nous avons retrouvé Nabiha Karaouli, la vraie, telle que nous l'avons aimée depuis qu'elle a été révélée dans le spectacle «Qantra», avec Samir Chichti. A l'occasion de ce récital, elle a offert à son auditoire une belle prestation dans un registre qu'elle maîtrise bien, qu'elle maîtrise le plus, avec aisance et justesse, mais aussi avec une scénographie et une théâtralisation qui allaient avec. Aussi, a-t-elle interprété des chansons du patrimoine tunisien, puisant dans le répertoire de la première moitié et des débuts de la seconde moitié du siècle dernier, sans les déformer, sans gâcher leur «saveur» originelle. L'authenticité était bien à l'honneur. Le public a adhéré et l'osmose était parfaite. Encore une fois, c'est la preuve que les précédentes orientations artistiques de Nabiha Karaouli, qu'elles soient musicales (distribution à l'occidentale, à l'excès) ou relatives à son image même (jeunisme manifeste dans son clip Ma telzamnich), n'étaient pas les meilleures. Un artiste, tout en évoluant, tout en innovant et même en diversifiant les genres et en explorant d'autres voies, gagne à rester fidèle à son style, à son profil, sinon sa notoriété et sa longévité artistique risquent d'en pâtir. Par ailleurs, si dans le concert à «Carthage» les chansons inédites étaient largement minoritaires, dans celui proposé au festival de la Médina, elles étaient totalement absentes. Nabiha Karaouli s'est, à vrai dire, contentée de reprises, certes avec son empreinte personnelle, mais reprises quand même. Zéro nouveauté, point de création. A cela s'ajoute le fait que notre artiste n'a pas présenté un spectacle très différent de celui qu'elle a concocté au festival de la Médina dans son édition de 2007, spectacle qui est d'ailleurs lui-même une reprise de «Qantra» dans sa première version : même répertoire, même style vestimentaire, et des chansons qui se répètent («Ma sabek borgdena», «Nochkor rabbi»,…). Ceux qui ont assisté aux deux récitals l'auront certainement remarqué ! Il faut se demander si l'adaptation au contexte ramadanesque, où la nostalgie se trouve davantage aiguisée, est un argument solide pour faire des reprises la base d'un programme. Avec son parcours, son background, son talent incontestable, Nabiha Karaouli aurait dû concocter un spectacle inédit pour cette édition du festival de la Médina, dénichant, pourquoi pas, des joyaux jusque-là méconnus du patrimoine musical — qu'elle aurait comme d'habitude remis au goût du jour —, ou du moins aurait-elle pu se focaliser sur un répertoire différent de celui dans lequel elle a puisé au cours des deux dernières éditions du festival de la Médina auxquelles elle a participé. C'est le moins que le public puisse demander. Du reste, d'autres questions s'imposent de fait : le nom et la notoriété d'un artiste suffisent-ils pour tout «laisser passer» ? Le comité directeur du festival de la Médina a-t-il des exigences et un «droit de regard» sur le contenu des spectacles, et ce, quel que soit l'artiste? Quoi qu'il en soit, il est clair que beaucoup de choix, tant artistiques qu'organisationnels, sont à revoir dans l'avenir de part et d'autre.