Le voilà de retour encore une fois, Sidi Romdhane a pris la bonne habitude d'écourter son éclipse annuelle de onze jours pour faire le tour de l'année, ça lui arrive de tomber en plein froid, ou comme c'est le cas pour cette fois-ci, dans les journées les plus caniculaires d'Aoussou. A en croire certains linguistes, son nom est dérivé de ramdha, un mot qui évoque la chaleur du désert. Chaleur ou pas, Ramadan est toujours bien accueilli. Il a ses amoureux, ses adeptes, ses inconditionnels, j'oserais dire ses fans. Ils sont nombreux, mais ne se ressemblent pas. Les bons croyants, qui s'adonnent volontiers à l'abstinence, cherchent la béatitude éternelle. D'autres croyants s'acquittent de ce devoir juste par acquis de conscience ou pour s'assurer un bon petit coin de fraîcheur dans le paradis de l'au-delà, avec toute cette grande canicule qui sévit ici-bas. Les moins rigoristes, eux, ne veulent en aucun cas rompre avec les bonnes traditions d'une grande cohésion sociale qui prévaut durant tout ce mois. Puis, il y a tous les autres. Ceux qui l'observent sont de plus en plus nombreux, ceux qui ne l'observent pas sont encore nombreux. Tous l'accueillent avec sérénité si ce n'est pas avec une certaine joie. Les besogneux et leurs familles voient en lui un mois d'une grande abondance, il est le ch'har el khir. Les absentéistes et les farnientistes l'affectionnent, ils acquièrent pour un laps de temps, trente jours, une grande liberté et surtout la compréhension des leurs pour ne pas aller en besogne. Faussaires, camelots et marchands des rues y trouvent une bonne occasion pour faire beaucoup de bénéfices sans trop investir. Les pâtissiers de fortune et les boulangers à la sauvette sont subjugués de bonheur. Ils se voient sur le chemin de la richesse. Leurs affaires, quoique éphémères, leur semblent assez florissantes. Quant aux couche-tard, ils sont au zénith, ils se retrouvent tous les soirs entre copains au café du coin, qui reste ouvert pour eux toutes les veillées de Ramadan. Ils s'adonnent à de nombreux jeux tout en fumant leur chère chicha. Bien sûr, les jeux de société d'antan ont presque disparu, rounda, chkoba, triciti et autre rami ainsi que les autres jeux de hasard ne sont plus de mode, d'autres jeux les ont remplacés, plus «in» et demandant moins de réflexion. Ah ! Allons-nous oublier les cafetiers ? Ramadan est leur mois, il est celui de la félicité pour eux. Durant trente jours, ils se comportent en monarques absolus, ils dictent leurs lois et se font plein les poches, sans, apparemment, aucun contrôle, ni social ni fiscal. Jeunes et moins jeunes se font prendre dans leur toile d'araignée figurez-vous, entrée payante dans un lieu public, du jamais vu. Mais il y a la musique qui sort d'une sono étourdissante, il faut bien que quelqu'un la paye ! Les plus heureux de Ramadan sont les lève-tard. Pourquoi se lever de bon matin quand tout est fermé? Le marchand de journaux, l'épicier du coin, le raccommodeur de chaussures. Tous, tous à l'exception du marchand de glibettes et autres graines. Lui au moins, il sait que les enfants ont besoin de collation le matin. Lui, il est là pour satisfaire tous leurs besoins. Lui, au moins, il veut faire des affaires mais dans une grande éthique sociale. Les gens, qui ont les nerfs à fleur de peau, baignent dans une immense joie, se permettant de parader dans les après-midi ramadanesques, pour s'en prendre aux flegmatiques et aux dociles, sans soucis ni remords. Pour eux, Ramadan est un des leurs, il va leur excuser leurs dérapages. Sacré Ramadan, nous t'avons appelé sidi pour ta sainteté, aie pitié de nous, nous t'aimons bien, tu sais ya sidi.