Le débat crucial engagé hier matin du côté de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique tombait à pic et sonnait comme une heure de vérité. Après avoir légiféré sur les élections, les partis, la presse et les associations, la Haute Instance établit qu'il est grand temps pour elle de renouer avec une mission tout aussi fondamentale : une action politique en phase avec les évènements, en écho avec le peuple, en contact avec le gouvernement, en alerte quant aux manœuvres de la contre-révolution… Le changement de cap entamé hier avec un mouvement de protestation contre la partialité de la justice et les manœuvres de la contre-révolution devrait prendre forme ce matin lors de la deuxième réunion hebdomadaire de l'Instance. Réunie hier matin au siège de l'ancienne Chambre des conseillers du Bardo, la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique devait adopter, en toute sérénité, la loi sur les associations. C'était compter sans l'actualité politique, judiciaire, économique, sociale et sécuritaire qui s'invita au débat et dicta un tout autre ordre du jour poussant l'Instance vers la révision de son rôle, son agenda et son échelle des priorités. Un ordre du jour imposé par les événements La fuite d'une figure emblématique de la corruption de l'ancien régime à la faveur d'un laxisme sécuritaire et judiciaire partagé, la relaxe d'anciens ministres, le manque d'indépendance et les atermoiements de la machine judiciaire, la faible prestation gouvernementale, les violences de Jebeniana, l'exportation illégale des produits alimentaires, les sit-in suicidaires qui se poursuivent indéfiniment paralysant des secteurs économiques clés tel le phosphate, le désenchantement des jeunes, la désaffection des inscriptions aux élections… La liste des événements et des non-événements invoqués par les membres de la Haute Instance qui ont pris part au débat est encore longue et elle les pousse au même constat et à la même conclusion. Le constat : le pays traverse un double déficit sécuritaire et socioéconomique qui n'accommode point la transition démocratique, et la contre-révolution observe un pic ; elle se profile derrière les aléas de la justice, les violences dans les régions, la volonté de boycotter les élections et autres manifestations… La conclusion : il est urgent pour la Haute Instance de réviser son agenda et de recentrer son débat et son action autour des objectifs de la révolution; sa mission initiale et fondamentale. Longtemps concentrée sur des législations qui, selon son président Yadh Ben Achour, s'inscrivent toutes dans la préparation du cadre juridique des élections, la Haute Instance devra, selon les personnalités politiques indépendantes, les représentants des partis, des associations et des régions qui ont pris part au débat, réviser cet agenda. "L'Instance a fini par ressembler à un législateur et une assemblée d'experts en rupture totale avec la réalité du pays et du peuple… Où en est-elle aujourd'hui de la révolution ?". L'interrogation du représentant de Mahdia est aussitôt suivie par cet impératif du représentant de Tataouine selon quoi la Haute Instance est investie d'une grande responsabilité et tenue d'une grande vigilance : "Comme il a vécu la révolution, notre pays est en train de vivre les tentatives de la contre- révolution. Le rôle de l'Instance est justement de les contrecarrer". Défendre ce qui reste de la révolution Ainsi, d'une intervention l'autre, l'accord se fait unanime de suspendre les discussions des textes et d'insérer ce nouvel ordre du jour qui, selon Rachid Guermassi, représentant du MDS, doit répondre aux préoccupations majeures du pays et à des problèmes de nature à ralentir le processus démocratique. Le président Ben Achour ne s'y oppose pas et le membre Hassine Dimassi tranche : "Notre fonction principale vis-à-vis des élections s'est achevée. Nous devons aujourd'hui prendre conscience de la rupture qu'il y a entre l'élite et les foules de jeunes qui a pour preuve le faible taux d'inscription aux élections. Nous devons travailler à ne pas éluder notre rôle principal qui est de fermer les portes aux ennemis de la révolution...". Les quelques semaines qui nous séparent des élections, Dimassi propose de les consacrer à établir une meilleure communication avec le gouvernement en vue de défendre ce qui reste de cette révolution. Mais comment, avec quels outils et quels mécanismes d'intervention, la Haute Instance envisage-t-elle d'exprimer la conscience de la révolution, de contrecarrer la contre-révolution, de faire pression sur le gouvernement…? C'est là toute la problématique de cette instance foncièrement consensuelle… nous confie Latifa Lakhdhar, vice-présidente. Pour elle comme beaucoup de membres, la solution réside dans la désignation des commissions spécialisées et la mise au point d'un mécanisme de communication avec le gouvernement, puisqu'à ce jour, les ministres invités ne répondent pas à l'appel. En attendant la reprise du débat ce matin, les membres de la Haute Instance ont observé un mouvement de protestation contre le manque d'indépendance de l'appareil judiciaire et les manœuvres de la contre-révolution. Le mouvement est né de cette conscience aiguë : la réalisation des objectifs de la révolution requièrent autant de réformes juridiques, de codes et de lois, qu'une action politique en phase avec la réalité du pays et la douleur du peuple.