Par Hassen CHAARI(*) • "Un peuple en état de révolution est invincible" (Maxime Isnard) • "Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères; sinon nous allons mourir ensemble comme des idiots" (Martin-Luther King) Après son honorable révolution du 14 janvier dernier pour la justice et la démocratie, la Tunisie semble paradoxalement brisée par ses propres enfants au nom d'une cause politicienne d'une minorité qui s'est livrée à un pillage économique soutenu par un matraquage politique. C'est ainsi que les valeurs de cette révolution ont été défigurées par cette minorité dont certaines revendications sont légitimes, mais cela lui donne-t-elle pour autant la légitimité de nous prendre en otage, de parler en notre nom et de casser tout au nom du peuple‑? A cette minorité agissante qui sert ses propres intérêts et qui parle en notre nom sans nous consulter, nous devons dire : "Dégage‑!, le pays veut avancer et aller de l'avant et non pas être l'otage d'un groupuscule de soit-disants révolutionnaires". Les Tunisiens sont ainsi choqués de constater que la dictature n'a pas définitivement disparu et que nous sommes manipulés par des gens qui, non seulement, n'ont pas fait la révolution, mais qui sont en plus venus maintenant cueillir ses fruits ; car si cette gabegie que nous vivons en ce moment se poursuit, les choses vont aller de mal en pis. Et, il est à craindre que notre économie, qui est basée sur un ensemble d'équilibres, ait toutes les peines à redémarrer et encore moins à réaliser des croissances, indispensables pour la création de nouveaux emplois. Des secteurs entiers de notre économie, notamment le tourisme, le textile, l'électromécanique, seront alors endommagés à jamais et davantage d'emplois seront perdus. ll faut donc dépolitiser le travail dans notre pays, pour éviter à notre économie, dans un environnement mondial économique et financier défavorable, les graves risques de la récession qui nous menacent. Au gouvernement provisoire, nous demandons d'accélérer les réformes politiques et économiques nécessaires et ce dans la concertation et le dialogue avec toutes les sensibilités politiques et les forces vives de la nation sans aucune exclusion. La Tunisie doit sortir de l'actuelle crise plus forte politiquement, économiquement, et socialement. Ceci ne peut se réaliser que lorsque cette phase de transition soit gérée dans une ambiance de sérénité et de confiance. Sans cela, le pays risque de sombrer dans le chaos, la révolution avortera, alors et le peuple tunisien aura dans ce cas donné au monde extérieur le mauvais exemple et aura servi d'alibi pour les autres régimes politiques autoritaires pour continuer à réprimer leurs peuples. C'est pourquoi nous avons une lourde responsabilité, non seulement vis-à-vis de nous-mêmes, mais aussi vis à vis de tous les peuples qui cherchent à suivre notre exemple. Depuis la fuite de Ben Ali, une énergie extraordinaire anime la société tunisienne, déployée malheureusement dans la grande confusion. Les sujets et les problèmes à résoudre sont entremêlés et les priorités, très souvent ignorées. Il est donc nécessaire de focaliser nos énergies sur les grands chantiers qui nous attendent. Quel système politique et économique pour la Tunisie de demain‑? La question du modèle de développement adéquat pour la Tunisie revêt une grande importance. En effet, le modèle choisi conditionnera non seulement la croissance économique mais également la stabilité politique et sociale du pays. Plusieurs juristes, intellectuels et présidents de partis ont avancé des propositions afin d'enrichir le débat sur le régime politique et le système économique à mettre en place après les prochaines élections, thème qui préoccupe l'ensemble de la population tunisienne toutes catégories sociales et toutes tendances confondues. Quel régime choisir afin d'éviter tous les dérapages et abus possibles perpétrés par les hommes du pouvoir‑? Faut-il adopter une démocratie solidaire à la place d'une démocratie occidentale‑? De toutes les façons, il importe de ne pas reproduire intégralement les modèles de démocratie occidentale. La démocratie que nous voulons devrait être humaine, solidaire, à laquelle doivent participer tous les partis politiques et toutes les composantes sociales du pays. Un régime mixte entre le présidentiel et le parlementaire où les responsabilités sont ajustées entre l'exécutif et le législatif avec le respect du principe de la séparation des pouvoirs et des mécanismes de contrôle de l'un sur l'autre. Ensuite, il y a plusieurs grands chantiers prioritaires pour la Tunisie dans le court et moyen terme; à savoir : • Etablir une justice juste et indépendante. Il est primordial de rétablir la confiance entre le peuple tunisien et les institutions qui lui garantissent sa sécurité. Actuellement nous sommes dans un état de méfiance mutuelle. Les juges peuvent être élus également, du moins ceux qui sont à la tête des tribunaux judiciaires civil et pénal ainsi que le Tribunal administratif et la Cour des comptes. • Lutter contre la corruption. La corruption est à l' origine de tous nos maux. Cette gangrène dépasse le plan économique et atteint même les valeurs sur lesquelles notre société est fondée. Le traitement de ce fléau se fera sur plusieurs années en passant par un système de gouvernance efficace et transparent pour nos établissements publics et au sein de nos entreprises publiques et privées. • Formuler et activer un programme d'employabilité durable. Le programme de chaque parti politique doit exposer et d'une manière claire‑: • Quelle est la politique générale de notre économie‑? • Quel rôle et dans quels proportions les différents outils tels que les grands projets, la micro-finance et la société civile seront capables de créer d'une manière durable des emplois‑? • Quels sont les instruments étatiques nouveaux à créer ou les instruments étatiques anciens à renforcer pour redynamiser l'investissement et la création d'emplois‑? • Et enfin, quelle réforme du système éducatif et de formation pour créer une force de travail efficace et équilibrée‑? • Concrétiser l'équité régionale et sociale. Le programme économique ne peut être durable sans un plan d'action pour concrétiser une équité régionale et sociale. Ce chantier comprend, évidemment, la création de mécanismes d'incitation à l'investissement dans les régions intérieures et un plan de renforcement de l'infrastructure nécessaire à son développement. Néanmoins, il doit aussi proposer un système de gouvernance et des mécanismes de prise de décision équilibrés entre les pouvoirs centraux et les pouvoirs régionaux et locaux. Il est du devoir de tous les partis politiques tunisiens, ainsi que de la société civile et des forces vives de la nation de préparer des propositions concrètes à mettre sur la table du prochain gouvernement, quelles que soient sa composition ou sa couleur politique.