• Des milliers de jeunes Tunisiens dont des centaines d'évadés des prisons sont en passe d'être expulsés. Entre-temps, heurs et malheurs… • 300 euros pour…rentrer volontairement au bercail Les temps sont décidément durs, très durs pour nos champions de l'émigration clandestine. Le rêve de l'eldorado européen qui les obnubilent jusqu'à l'obsession est en train, mine de rien, de se transformer en cauchemar. Un de ces cauchemars dont on ne se relève généralement pas vite. En effet, quand on se débrouille (et là, tous les moyens sont bons, y compris de faire main basse sur les économies de maman ou papa) pour ramasser le «tarif de la harga» (entre 3 et 5.000 dinars), quand on prend la mer au clair de la lune à bord d'embarcations de fortune et pleines comme un œuf, quand on se tape des kilomètres au large à la merci des vagues et des gardes-côtes, quand on évite de justesse le naufrage pour enfin arriver à bon port, bref quand on endure toutes ces souffrances et l'on prend tous ces risques, c'est qu'on est hypnotisé par le rêve fou, fou, fou du Vieux continent. Mais une fois atterri dans l'inévitable île de Lampedusa, point de transit privilégié vers les pays européens, on s'aperçoit tout de go qu'on est là pour…constater les dégâts, pour subir de nouvelles rudes épreuves et pour assister, impuissant et pantois, à l'évaporation lente mais sûre d'un rêve fantastique fleuri dans ses terres d'origine. Eveil brutal et affligeant… Heurs et malheurs… Moncef, 26 ans, en a fait l'amère expérience. Natif d'un quartier populaire (cité Ettadhamen) où le chômage bat encore son plein parmi les jeunes, il nous raconte son odyssée. A méditer. Ecoutons-le : «J'ai dû faire des acrobaties et même mentir ensuite à mes parents pour financer mon émigration clandestine pour laquelle j'ai opté à mon corps défendant, le chômage et la marginalisation m'ayant rendu la vie impossible. Arrivé à Lampedusa au terme d'une véritable odyssée qui a fait cinq morts parmi mes compagnons de la traversée, nous fûmes cueillis à froid par les ‘‘Carabinieri'' qui nous ont embarqués tout de suite pour nous parquer dans une vieille bâtisse transformée en lieu d'hébergement provisoire pour tous les étrangers afflués clandestinement sur l'île. Sous le toit de cet édifice menaçant ruine et pratiquement invivable, il va falloir prendre son mal en patience pour s'habituer à sa nouvelle vie de détenu. Rien ne nous était permis. Et c'est à peine si on mangeait à sa faim. Mais, on se disait qu'à cela ne tienne, pourvu qu'on nous délivre les papiers de séjour, ou qu'on nous laisse partir. Les plus chanceux parmi nous ont été embauchés, mais le reste ? Eh bien, il n'y a pas 36.000 solutions pour eux : ou ils s'évadent, ou ils se contentent de 300 euros, à titre de prime d'incitation au retour au pays d'origine». Malchanceux jusqu'à la fatalité, notre interlocuteur l'est. «Un jour, se remémore-t-il, j'ai fait la connaissance d'une dame italienne que j'ai croisée au hasard d'une promenade. Le courant est vite passé entre nous deux. Au point qu'elle m'a promis de m'embaucher dans son aciérie. Cette nuit-là, je n'ai pas dormi, tellement j'étais ravi à la perspective d'enterrer enfin mes chagrins. Hélas, cette “signora” qui a pignon sur rue et… beaucoup de charme, a vite fait volte-face, en quittant ma vie sans crier gare. Il ne me restait plus alors qu'à empocher les minables 300 euros pour rentrer au bercail, la mort dans l'âme». De toute façon, l'exemple de Moncef se compte par dizaines. Mais, si ce dernier s'est montré «fair-play», d'autres fortement déçus, n'ont pas hésité, selon les dires de notre interlocuteur, à se laisser aller à des actes répréhensibles qui ont défrayé les chroniques des faits divers des médias de la péninsule. Tout cela sans compter les heurts, devenus de plus en plus fréquents, entre les «harraga» et les flics italiens qui usent parfois de matraques et même de bombes lacrymogènes pour mater la révolte des centres d'accueil de ces émigrés. Sur le chemin du retour Le ras-le-bol des autorités italiennes a évidemment fait tache d'huile dans le reste des pays européens, et plus particulièrement en France, autre destination prisée par les «harraga». Ça et là, on ne cesse de concevoir formule sur formule susceptible de stopper une invasion clandestine étrangère de plus en plus «étouffante». En Italie, on a recenssé jusqu'à présent plus de 50.000 clandestins (en majorité des Tunisiens) venus de l'Afrique du Nord. Dans l'Hexagone, ils sont également près de 20.000 SDF africains (dont des Tunisiens) à sillonner les rues. Autre chiffre non moins frappant: plus de 1.500 évadés des prisons tunisiennes courent toujours en Italie et en France. Ceux qui se font arrêter (et ils sont de plus en plus nombreux) sont illico presto expulsés vers la Tunisie. Les rescapés ont des fortunes diverses : soit ils continuent de vivre dans la clandestinité sous l'emprise d'une angoisse de tous les instants, because les rafles, soit ils se réfugient dans d'autres pays plus «accueillants» tels que la Suède, le Danemark et la Croatie où, généralement, la chasse à l'homme est plus «tendre», les opportunités d'embauche plus nombreuses et la xénophobie n'a pas droit de cité. Mais, pour une frange de nos harraga assagis «mieux vaut souffrir dans son pays qu'ailleurs».