Notre objectif est bien plus modeste. Il se propose, tout simplement, d'effectuer une lecture sinon un décodage des tendances. Mais ne peut-on pas envisager une inversion de tendances, par une prise en compte des résultats sur le terrain, pour abandonner les impasses, éviter les blocages, subir l'épreuve de la Realpolitik? Tout pragmatiques qu'ils se présentent, les acteurs internationaux s'obstinent volontiers à conduire les politiques qu'ils ont engagées, admettant difficilement les nécessités de révision ou d'ajustement. La volonté de désengagement américain de l'Irak, qui a été l'objet d'annonce du Président Barak Obama, constitue plutôt une exception, dictée par la peur d'une vietnamisation de la question. Mais la poursuite de la guerre d'Afghanistan et les attentes de règlement de la question palestinienne, entre autres, attestent qu'on privilégie le statu quo, qu'on écarte les visions d'avenir, qui impliquent des révisions déchirantes. Vu la pesanteur de la géopolitique internationale, nous préférons parler de simples perspectives et non de prospective, qui met à l'ordre du jour l'exploration de domaines nouveaux. L'extension de la guerre d'Afghanistan: l'aire s'enlise dans la violence. Aucune perspective d'avenir crédible en Afghanistan, où les populations sont prises en otage entre les talibans et les forces de l'Otan, perçues bien souvent comme des troupes d'occupation, alors que le gouvernement local n'a pas été en mesure d'affirmer ses prérogatives souveraines. Le transfert des responsabilités annoncé et le processus d'afghanisation des forces de sécurité mis au programme coexistent avec une intensification de l'effort de guerre américain. Comment assurer les conditions de la reprise de l'initiative nationale, alors que la ‘‘pacification'' bloque la dynamique intérieure et que la guerre civile s'accommode de la poursuite du commerce de l'opium et ajourne l'adoption d'une politique d'envergure d'éducation, de promotion sociale et de développement. L'extension de la guerre au Pakistan est désormais accomplie : guerre civile larvée, affrontements entre les forces des talibans et l'armée, opérations de poursuite de l'armée américaine. Tous les ingrédients d'une montée des périls sont réunis. D'ailleurs, le Pakistan a connu un début d'année sanglant. L'attaque qui s'est déroulée dans le district de Bannu, une région proche du Sud-Waziristan, une zone tribale connue pour abriter des talibans et des combattants étrangers proches des réseaux d'Al-Qaïda, a fait plus d'une centaine de morts. Le développement du terrorisme dans la région a créé des tensions graves entre l'Inde et le Pakistan et réactualisé le différend du Cachemire. Or le Pakistan ménage l'Afghanistan, qu'il considère comme sa dimension stratégique contre l'Inde. L'établissement de la paix en Afghanistan, qui relèverait de l'utopie, dans les conditions présentes, permettrait d'assurer le rapprochement indo-pakistanais et faciliterait peut-être le traitement du contentieux du Cachemire. Un nouveau front au Yémen : l'attentat manqué contre un avion, en route vers Detroit, le jour de Noël, par un kamikaze entraîné au Yémen a attesté l'extension d'Al-Qaïda dans ce pays. Dès 1990, Ben Laden aurait affirmé à l'un de ses gardes du corps que le Yémen ‘‘pourrait servir de refuge à Al-Qaïda, si un jour elle devait abandonner l'Afghanistan''. L'actualité a révélé que le Yémen, en butte à la révolte houthiste, faisait face au mouvement intégriste qui aurait installé une base dans ses régions montagneuses et tribales. Cette situation se justifiait d'ailleurs par l'importance des militants yéménites et saoudiens enrôlés par Ben Laden et qui constituaient sa garde rapprochée. Dès le mois d'août 2008, après un attentat contre des forces de sécurité, le gouvernement yéménite s'est lancé dans une traque du mouvement d'Al-Qaïda. Il vient d'organiser une série de raids, dans la province de Shabwa, à 50 kilomètres à l'Est de Sanaâ. La tentative d'attentat du 25 décembre et la réaction du Président Obama, le 2 janvier, qui déclara que les Etats-Unis étaient en guerre contre un ‘‘réseau de haine et de violence de grande envergure'', annonceraient l'ouverture d'un nouveau front de lutte contre Al-Qaïda au Yémen. D'autre part, le Premier ministre britannique Gordon Brown a proposé le 1er janvier l'organisation d'une réunion internationale de haut niveau le 28 janvier pour discuter des moyens de s'opposer à l'influence d'Al-Qaïda au Yémen. Organisée avec l'appui des Etats-Unis et de l'Union européenne, cette réunion aurait lieu au même moment qu'une conférence internationale sur l'Afghanistan qui doit se tenir à Londres. Espérons que l'approche identifiée sera différente de la stratégie adoptée pour l'Irak et l'Afghanistan. Elle privilégierait ainsi le soutien au gouvernement yéménite, par l'aide au développement, à l'élimination des poches de pauvreté, exploitées par les partisans de la dérive; elle assurerait, par ailleurs, la promotion de la dynamique interne, au profit de la modernité et du progrès. La question iranienne : la conjonction de la crise interne et du contentieux nucléaire avec l'Occident met l'Iran à rude épreuve. Le spectre de la guerre semble pour le moment éloigné. Les puissances européennes sont persuadées que toute attaque étrangère susciterait une mobilisation nationale et redimensionnerait l'opposition entre l'Establishment et les réformateurs. La guerre déclenchée par l'Irak contre l'Iran a restauré et consolidé la cohésion contre l'ennemi. Il faut prendre la mesure du poids de l'histoire, de l'enracinement de la civilisation perse et, par conséquent, du souci de tous ses citoyens, d'affirmer leur puissance régionale. D'autre part, qui pourrait assumer la responsabilité d'embraser l'aire arabo-musulmane ? En dépit des controverses qui agitent la scène intérieure, la crise du nucléaire iranien bénéficie d'un répit, qu'il faudrait utiliser pour réaliser un compromis salutaire. La question palestinienne : elle traduit l'impuissance de la gouvernance internationale, concourt à la déstabilisation du Moyen-Orient et permet l'instrumentation par les extrémistes de différends bords de la théorie du ‘‘choc des civilisations''; c'est dire qu'elle requiert un traitement d'urgence. Nous y reviendrons.