«L'art d'interroger n'est pas si facile qu'on pense», Jean-Jacques Rousseau Par Rejeb Haji* Se référant à un «un sondage réalisé conjointement par l'agence TAP (l'Agence Tunis Afrique Presse) et l'institut Isis» le journal La Presse titrait en «une» : «l'opinion dans le brouillard». Les autres organes de presse ont fait de même. Ils l'ont exploité et commenté ses résultats à tout bout de champ. Etant l'auteur d'une contribution parue dans ces mêmes colonnes, «le sondage, une éthique...» nous ne pourrons ne pas réagir. Aujourd'hui, ce qui nous fait bondir c'est ce nouveau partenaire gouvernemental, la TAP, qui s'introduit sciemment dans la bataille des sondages et donc dans l'illégalité de leur démarche. Cette agence devrait être au-dessus de la mêlée politique. Son rôle n'est pas de s'occuper de l'état de l'opinion. Comme toutes les agences de presse, son objectif est de produire des dépêches et fournir de l'information aux médias. A notre connaissance, aucune des agences mondiales connues comme Reuters au Royaume-Uni, l'Associated Press aux Etats-Unis et l'Agence France-Presse en France n'a été associée à des sondages d'opinion. Notre étonnement et notre stupeur se sont accentués par le fait que cette enquête d'opinion a été diligentée avec une agence étatique et réalisée en partenariat avec une institution privée en dehors de toute légalité. Etant de formation statistique, notre attention a été attirée par le dernier sondage du 04/09/2011. Dans notre article publié, dans La Presse du 25 juillet 2011, après avoir rappelé l'historique des sondages et le contrôle strict auxquels ils sont soumis, dans les pays développés, nous avons attiré l'attention de nos concitoyens sur leur danger. Nous réagissons à nouveau à cette nouvelle atteinte à notre liberté. Nous avons pourtant attiré l'attention que les enquêtes d'opinion auxquelles il faut s'attendre, doivent respecter, comme cela se fait dans les pays développés, des règles méthodologiques de base, tant au niveau de leur élaboration que dans leur publication. Quelques éléments ont été avancés par rapport à la première enquête : la période (du 15 au 28 Août), la taille de l'échantillon (2.717 personnes), la méthode (celle des quotas) et les variables retenues (le genre, le milieu, la région et l'âge). D'autres questions fondamentales demeurent sans réponses. Quel est le commanditaire? Est-il l'Etat par l'intermédiaire de son agence ? Dans quelle langue a été rédigé le questionnaire? Quels sont les ajustements effectués et la marge d'erreur retenue ? Quels sont les redressements nécessités et sur quelle base? Pourquoi ne pas avoir retenu la catégorie socioprofessionnelle comme paramètre? Etant donné que les sondages sont coûteux en temps et en argent, nous sommes en droit de demander: Quel est le coût pour le contribuable puisque c'est une agence de l'Etat qui est le partenaire? Ce sondage, s'ajoutant à l'hystérie médiatique qui déferle dans notre vie quotidienne, n'est pas pour réconforter. Rien que sur le graphique, les initiés peuvent se poser plusieurs questions aussi bien sur le fond que sur la forme. Même si les sondages ne sont pas encore enseignés dans nos institutions universitaires, les modules statistiques sont absents dans la formation des journalistes! L'agence TAP aurait pu à ce sujet commander à son partenaire, moyennant paiement, une enquête sur les opinions de son personnel. L'ensemble des 300 agents et des 200 journalistes avec un réseau couvrant tout le pays peut constituer une population de choix pour un sondage. Les mêmes questions pourraient être posées, mais en utilisant, cette fois-ci, la méthode aléatoire qui consiste à effectuer un tirage au hasard ce qui nécessite l'existence d'un fichier complet de la population, ce qui est le cas. A l'aide d'une table de hasard, on peut en sélectionner un échantillon représentatif (taille supérieure à 30) et faire ensuite l'analyse souhaitée en utilisant les outils adéquats. S'ils sont contestés, les sondages sont utiles dans les pays développés mais ne sont pas indispensables chez nous, à l'heure actuelle, puisqu'il leur manque l'encadrement juridique nécessaire. A notre avis, la solution la plus simple, la moins coûteuse et la plus rapide à mettre en exécution serait d'interdire les enquêtes d'opinion, en attendant de légiférer avec la nouvelle Constituante. Une autre solution alternative est que le gouvernement provisoire nomme une commission provisoire de spécialistes présidée par un magistrat. Elle ferait fonction de Commission nationale de sondage. Ses membres indépendants de toute influence politique, pourraient provisoirement veiller à leur régularité. En pleine tempête financière, il ne faut pas aggraver le chaos politique qui s'instaure dans notre pays. La nouvelle déferlante, celle du Conseil d'administration de la Banque centrale dont la composition est une nième énigme, consolide la «situation incompréhensible» de l'enquête. Passant en revue la conjoncture, il nous annonce «la persistance du climat d'instabilité sécuritaire et sociale et l'absence de visibilité pour les opérateurs économiques» et suggère «la mise en place d'une politique budgétaire». La seule réponse que ce Conseil offre, conformément à son orientation politique libérale dont l'échec a été retentissant partout dans le monde, est de « réduire le taux d'épargne à 3,5%» évidemment «en veillant à consolider les ressources du système bancaire». L'Etat endosse par ce biais la responsabilité des banques. Ce système bancaire, qui, loin d'être un moteur de la croissance, bénéficie de toutes les sollicitudes (un niveau de salaires indécent pour ses hauts cadres, des avantages en nature non quantifiables...). Ni avec les «novembristes», ni après eux, il n'a été sous les feux de la rampe. Ce système opaque mérite qu'on s'y intéresse pour mettre en exergue sa responsabilité dans l'état de délabrement de notre économie. Mais ces membres du conseil, comme disait Périclès, «... se paient de mots et de symboles pour se donner une bonne conscience». Suite à leur constat sans réserve, il faut s'attendre à la dégradation de la note de notre pays par les agences de notation (voir notre article publié par La Presse du 2/9/2011 : Les agences de notation : un mal nécessaire ?!). La dette souveraine de notre pays placée déjà sous «surveillance négative», le plus faible niveau possible dans la catégorie des émetteurs fiables, pourrait encore baisser. La déclaration du conseil d'administration donnera la justification recherchée et la BCT ne versera plus plusieurs dizaines de milliers de dollars annuels pour qu'une agence apprécie la situation du pays. Le diagnostic est fait. La dégradation de la note, qualifiée en son temps de cynique de partout dans le monde va se trouver justifiée. Or, faut-il rappeler que près de 20% du financement de notre budget provient du marché financier. Ouvrons les yeux, notre pays est au bord du gouffre. L'état d'urgence est décrété dans tous les domaines. Les responsables du moment et ceux de la politique «souterraine» assumeront devant l'Histoire le dérapage. Des générations entières ont consacré le meilleur d'eux-mêmes en répondant à l'appel du devoir pour que l'Etat moderne actuel se construise dans la dignité. A ceux qui l'ignorent, par leur jeunesse et ils sont pardonnables ou à ceux qui prétendent se faire des virginités sur le dos de la révolution faut-il leur rappeler cet adage : «ceux qui n'ont pas d'histoire n'ont pas d'avenir». Cet avenir nous le construirons tous ensemble par notre bulletin de vote, le 23 octobre. Nous contredirons les sondages factices. Le renvoi de toute cette panoplie d'illustres inconnus groupés dans ces commissions, sans repères, sera effectif. Tout rentrera alors dans l'ordre et certains dans l'oubli. L'héritage est lourd pour les nouveaux venus que nous aurons choisis en toute conscience. Pour relever tous les défis qui attendent notre pays, la participation de tous est une exigence! ------------------------------------------------------------------------ *(Ancien chef de cabinet, économiste, statisticien)