Par Rafik BEN HASSINE Nous faisons suite à l'opinion de M. N. Abassi, parue dans La Presse du 27/9/2011, intitulée "Suffètes des temps modernes". A l'origine, suffète est le titre sémitique d'un magistrat qui prononçait souverainement une sentence, dans un différend ou une situation indécise, c'est-à-dire c'était souvent un "juge", et quelquefois un "gouvernant". Chez les Hébreux, un shopet était la plus haute autorité civile de la fédération des tribus juives. Dans les textes mythologiques d'Ougarit, c'était un titre de "souverain". L'institution existait en Phénicie au premier millénaire avant J.-C. Ainsi des suffètes gouvernèrent Tyr pendant 8 ans, après le siège de la ville par Nabuchonosor II, au VIe siècle av. J.-C. : les trois premiers suffètes furent en charge pendant 2, 10 et 3 mois respectivement, ensuite 2 suffètes exercèrent conjointement leurs fonctions pendant 6 ans, enfin le dernier gouverna pendant près d'une année. Le suffétat phénicien apparaît donc comme une magistrature municipale, qui peut coexister avec un pouvoir royal, mais dont les compétences doivent alors se limiter à l'administration locale et à l'exercice de la justice. Mais dans des cas exceptionnels, on confie aux suffètes d'autres fonctions, comme indiqué ci-dessus. La fonction de suffète carthaginois est, pareillement, une institution municipale, que l'on retrouve dans toutes les cités puniques ou punicisées du Maghreb, mais aussi en Sicile et en Sardaigne. Comme à Tyr, les suffètes de l'empire carthaginois étaient des magistrats suprêmes, qui devaient leur autorité exceptionnelle à la puissance de Carthage, d'une part, et à leur droiture d'autre part. Les Grecs, faute d'un terme approprié, les appelaient généralement basileis. Les auteurs gréco-romains, à commencer par Aristote, attribuent aux suffètes le droit de convoquer le Sénat et de lui soumettre les questions à débattre, sans oublier l'exercice de la justice, dans lequel ils devaient être assistés par de simples juges. Après la chute de Carthage, les suffètes continuèrent à administrer les cités africaines de tradition punique jusqu'au IIe siècle après J.-C. Après cette date, les suffètes furent remplacés par des duumvirs, qui avaient presqu'à l'identique les mêmes prérogatives. La fonction actuelle de Béji Caïd Essebsi peut être comparée aux fonctions de ces suffètes puniques, qui, dans le cas où la patrie est en danger, assurent la conduite de l'Etat et la sauvegarde des biens et des personnes. Nous sommes d'accord pour lui reconnaître le titre de sauveur de la patrie, en ces temps incertains. Béji Caïd Essebsi ne fait que perpétuer une tradition tunisienne vieille de plus de deux mille ans. Tout ce que nous lui souhaitons, c'est d'y réussir, et que les élections du 23 octobre 2011 ne sonnent pas le glas de tous ses efforts, en portant au pouvoir des individus peu recommandables.