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Pourquoi voter (1ère partie)
Publié dans La Presse de Tunisie le 11 - 10 - 2011


Par Samir Mestiri
Pourquoi voter ? A cette question qui nous taraude les esprits, depuis quelque temps, très peu le savent clairement, encore moins pourquoi on a fait la Révolution du 14 janvier. Mais, on a fini tout de même et après de sérieuses cogitations par admettre que voter est bien puisqu'il s'agit d'un acte «libre et responsable»; c'est le geste le plus libre et le plus civil qui soit, comme lorsqu'on paie tous ses impôts ou lorsqu'on s'arrête au feu rouge pour permettre aux autres de passer en toute sécurité ; c'est même un devoir quasi sacré puisqu'il s'agit avant tout de sauver le pays en crise de la tourmente révolutionnaire et surtout du spectre toujours rôdant de la dictature qui cherche par tous les moyens à regagner son repaire…On vous répondra aussi sans trop réfléchir qu'ils choisiront, le jour J, n'importe quoi, n'importe qui, n'importe comment — en pliant le bulletin en deux ou en quatre, en le glissant délicatement par la fente de l'urne en verre ou en bois (cela dépend du degré de transparence, mais aussi du coût de la matière) ou en le poussant énergiquement afin d'être sûr que le vote a bien touché le fond des fonds.
Qu'importe le nom des partis, Attakatol, Al Watan, Al Moubadra, Tawa, Wifak, Nahdha et j'en passe car la liste est longue comme un jour sans pain! Dans ce jeu de roulette russe (il y a très peu de différence entre la gauche, la droite, le centre extensible et récupérable, c'est du pareil au même, l'essentiel est de mettre fin à cette giration post-révolutionnaire), on a comme l'impression que tout le monde est indécis et indéterminé, habitué qu'il était à la discipline moutonnière et aux certitudes inébranlables du 7 novembre salvateur. Ainsi, des années durant, on croyait que l'Etat tutélaire était là pour protéger ses sujets contre les exactions, les brimades, la violence sous toutes ses formes et non pour les escroquer, les ruiner, les spolier, les briser, les asservir, les museler, les réduire à des loques humaines, sans identité aucune…
Dans cette course pour la Constituante (tout le monde a hâte de réécrire la Constitution, il y a même d'anciennes stars de football qui sont prêtes à faire le gardien de but contre les constitutionnalistes), il y en a pour tous les goûts : les apprentis sorciers sont de toutes les couleurs, de toutes les formes ; il y a à boire et à manger, il y a même des couleuvres que vous risquez d'avaler à jeun; bref, c'est la croix et la bannière comme on en voyait autrefois dans les processions du temps de Rabelais et de Montaigne où les uns mouraient sans parler, les autres parlaient sans mourir, les uns mouraient en parlant, les autres parlaient en mourant et à qui dit mieux, à qui parle plus haut et plus longtemps que les autres car le tout est une affaire de rhétorique — révolutionnaire, cela va sans dire —, de débit, de souffle, d'appétit mais surtout de sous ; seuls les plus friqués auront voix au chapitre...
On se dit enfin que face à cet imbroglio nauséeux, vertigineux et brouillé comme un ciel d'automne (l'automne est par excellence la saison des orages, des changements et des têtes- à -queue), où chacun ne voit pas plus loin que le bout de son nez, il vaut mieux avoir le cœur net et accomplir son « devoir » en bon citoyen fort respectueux de la loi et de l'ordre établi par les riches pour les riches et tant pis pour le reste. Soyons plus clairs : il s'agit de jouer un rôle, comme on le faisait gentiment du temps de Zaba. En ces temps- là, en effet, le citoyen, docile comme un agneau, était acculé à introduire timidement — il a ainsi l'impression de violer sa conscience citoyenne — le bulletin de vote sous le regard très vigilant des observateurs du RCD tentaculaire et de la police du parti, véritable KGB du droit chemin...
Mais maintenant qu'on est libre ou presque (cette liberté reste pour le moment très aléatoire, très chaotique) de choisir entre une centaine de partis obscurs, on ne sait plus ce qu'on veut, ni sur quel pied danser. Néanmoins, on se doit à nous-mêmes de surmonter la difficulté d'obéir au maître car sa force est notre bien, sa volonté est notre volonté, ainsi a toujours parlé le berger bienveillant à ses brebis en les effrayant du loup qui, comme on le sait, est légion en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Egypte, au Yemen…
Devant l'urne fendue par le haut, il se sent déjà irrité — il n'arrête pas de se gratter la tête —, perplexe, indécis et gêné par cette fichue liberté qu'il n'a pas revendiquée dans le fond puisque jusque-là il a toujours vécu tranquillement, petitement, sans histoires, comme ces petites gens qu'on voit affalées tels des pachas sur les terrasses des cafés, l'air satisfait, en train de fumer leur narguilé; gargouillant, sur un fond de musique orientale, tout en écoutant les histoires d'antan racontées par les octogénaires du groupe. Le voilà donc dans l'embarras du choix. Ne risque-t-il pas par ce geste décisif de gâcher son bonheur et de se retrouver dans une situation pire que la précédente ? Ce choix le rendra-t-il plus heureux et saura-t-il contenter l'animal politique qui est en lui ? Il en doute fort. « Tout homme et toute femme devraient penser continuellement à ceci que le bonheur, j'entends celui que l'on conquiert pour soi, est l'offrande la plus belle et la plus généreuse », écrit Alain. Pourquoi voter alors, si dans son esprit tout reste flou et flottant ?
Il ne peut s'empêcher de remarquer que bien avant les élections automnales de la future Constituante qui nous permettront de faire peau neuve et de transmuer la dictature — comme si la dictature était seulement politique — par injection létale en démocratie, la vie est devenue beaucoup plus chère qu'auparavant sans que personne ne prenne la peine d'éclairer nos pauvres lanternes. Que serait-ce alors après, lorsque les ploutocrates malintentionnés, ce pouvoir invisible, auront pris sans coup férir les rênes du pouvoir pour refaire main basse sur les richesses du pays, lequel est déjà mis à rude épreuve par toutes sortes d'extorsions diaboliques. Au marché de la Médina où il fait habituellement ses courses, il entend souvent les gens rager contre la flambée des prix et les spéculateurs de tout acabit ; certains, les plus fulminants, les plus mécontents et les plus touchés par cette alchimie révolutionnaire sans précédent (voilà une révolution faite par le peuple, mais qui, très vite, a été phagocytée par la géronto-crato-bourgeoisie mercantile) n'hésitent pas à cracher leurs imprécations contre le jeune auto-incendiaire pré-révolutionnaire : Mohamed Bouazizi. Paradoxe insoluble ou nœud gordien ? Toujours est-il que la situation sécuritaire n'a pas du tout l'air de s'améliorer. Le pays, exsangue et souffrant de toutes sortes de carences, semble livré à lui-même comme un grand corps malade, sans défense aucune. Ainsi, le soir venu et jusqu'à potron-minet, dans les rues mal éclairées, on voit courir des hordes de Lucifer chevauchant des mobylettes, lesquels n'hésitent pas à braquer les pauvres citoyennes dont les cris de détresse déchirent amèrement le ciel de la ville aux abois…
En outre, qui garantira à si Haier l'agnostique que les cafés et les bars resteront toujours ouverts, de jour comme de nuit ? Qui lui garantira que les femmes continueront à sortir sans niqab ? Qui lui garantira que tout ce qu'il possède ne sera pas la propriété de l'Etat comme du temps de la collectivisation ? Et surtout, qui lui garantira son droit à l'insurrection ? Fort heureusement, il a toujours présent à l'esprit l'article 35 de la Constitution française de 1793 : «Quand le gouvernement viole le droit du peuple, l'insurrection est pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs».
A force de ruminer ces idées peu rassurantes (car en tant que vrai mouton, il veut voir la vie en face et non en rose comme tous les optimistes béats qui croient dur comme fer que tout va bien dans le meilleur des mondes possibles), il a maintenant l'impression que les choses étaient autrefois plus simples, plus claires. Lui qui a toujours appris à raser les murs et à dire oui comme un perroquet et à ne pas avoir de pensée critique et singulière. Car critiquer, c'est contester, revendiquer, casser, reconstruire, c'est refuser l'orthodoxie niveleuse, c'est choisir l'oblicité au lieu de la ligne droite et l'art du bonheur kitch… Penser obliquement. Ironiquement. Oui, il s'agit de sortir de ce mutisme séculaire imposé par ses bienfaiteurs imprévisibles — chaque parti en compétition, de gauche ou de droite, est potentiellement totalitaire — et de dire non à cette «race jacassière», dire non à toute forme de supercherie idéologique et à cette tyrannie de la majorité, comme l'appelle Tocqueville, où tous décident au sujet d'un seul et, si besoin est, contre lui. «Le citoyen n'a pas encore bien saisi cette idée que tout pouvoir est mauvais, s'il n'est surveillé, mais que tout pouvoir est bon autant qu'il sent une résistance pacifique, clairvoyante, obstinée. La liberté n'est pas d'institution ; il faut la refaire tous les jours », écrit Alain dans Le citoyen contre les pouvoirs (1926).
Plutôt que d'attendre naïvement tout de l'Etat souverain et de nos chers futurs élus, l'indignation morale doit être le seul moteur « révolutionnaire » grâce auquel, écrit Jankélévitch, «nous passons du constat notionnel à l'effectivité et du spectacle platonique de l'inégalité au refus insurrectionnel du scandale. » Que valent donc ces élections de la Constituante si elles ne sont pas doublées d'un référendum qui en fixerait la durée et déterminerait rigoureusement les orientations générales ? Est-il nécessaire vraiment qu'on la réécrive entièrement de bout en bout comme un banal texte de récitation, est-ce qu'il n'aurait pas été plus judicieux de maintenir le texte initial de 1959 tout en y apportant quelques modifications concernant notamment les modalités du futur pouvoir ?


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