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Lutta continua, victoria setta « La lutte continue, la victoire triomphera »
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 16 - 07 - 2011


Par Rafik BEN HASSINE
Le film Ni Dieu Ni Maître de Nadia El Fani a soulevé la polémique à cause de son titre et non de son contenu, que peu de personnes connaissent, car le film documentaire n'a été projeté que deux fois. Une bande de talibans — personnes qui adhèrent à un mouvement fondamentaliste — a attaqué la salle de cinéma Africa et les spectateurs. Nadia El Fani a reçu des menaces de mort suite à ses déclarations publiques concernant son athéisme. D'autres talibans internautes l'attaquent violemment sur les réseaux sociaux. Des moqueries d'une rare bassesse sont faites à propos de son physique, car cette dame a le crâne chauve suite à une chimiothérapie en cours pour soigner un cancer. De l'Islam fraternel ou compatissant, nulle trace. Et voici, qu'en plus, un trio d'avocats lance un procès contre la réalisatrice pour délit de profanation. Après l'affaire de l'ATI (censurez Internet ! on y voit de ces choses ! — ZABA doit se marrer), voilà que les supposés défenseurs de la liberté d'hier s'avèrent les inquisiteurs d'aujourd'hui.
L'Inquisition, c'est quoi ?
L'Inquisition, qui a sévi en Europe durant plusieurs siècles (à partir de l'an 1200) était une juridiction spécialisée (un tribunal), créée par l'Eglise catholique romaine et relevant du droit canonique (l'équivalent de la chariaâ). Elle était chargée d'émettre un jugement sur le caractère conforme ou non (par rapport au dogme religieux) des cas qui lui étaient soumis, et de sanctionner le coupable. Au moyen âge, l'hérétique (ou mauvais chrétien) est comme un lépreux qu'il faut éloigner du corps sain des fidèles par l'excommunication, le bûcher, l'exil ou la confiscation des biens. Régine Pernoud écrit ainsi : «Tout accident spirituel semble dans ce contexte plus grave qu'un accident physique. (…) Sous bien des rapports, l'Inquisition fut la réaction de défense d'une société pour laquelle, à tort ou à raison, la préservation de la foi semblait aussi importante que de nos jours celle de la santé physique».
Après la création de l'Inquisition, la définition de l'hérésie sera constamment élargie. Par opportunisme, on fait entrer dans le champ de l'hérésie des éléments de plus en plus divers : l'apostasie de juifs et de musulmans (espagnols) convertis, ou encore la sorcellerie. Mais on appelle aussi hérétiques les schismatiques (c'est-à-dire ceux qui ont une autre interprétation de la religion), ou encore ceux qui refusent de payer la dîme (impôt religieux), voire les homosexuels. L'hérésie n'est pas seulement affaire de doctrine : elle est vue comme un crime global contre Dieu, les princes, la société — ce qui alors revient au même. L'hérésie constituant une rupture du lien social, la lutte contre l'hérésie devient alors un problème d'ordre public. Les princes (comme aujourd'hui nos rois, émirs et autres khalifes) et l'autorité civile sont donc intéressés par sa répression pour, soi-disant, préserver l'ordre public. Cette confusion entre domaines spirituel et temporel est assez générale, en Europe, au XIIIe siècle (comme elle l'est dans les pays musulmans actuels, sept siècles plus tard). Dès le début, l'Inquisition est donc fondée sur le principe de la collaboration et du partage des tâches entre l'Eglise et l'Etat, chacun intervenant dans son domaine et suivant sa responsabilité propre.
Pour la société médiévale, la religion fait partie de l'ordre social, et l'ordre social se fonde sur la religion. C'est le cas de la société de type islamiste. Elle est de type médiéval.
Fatwa et inquisition
Une fatwa est un avis juridique donné par un spécialiste de loi islamique (le mufti) sur une question particulière. Contrairement à l'opinion répandue, une fatwa n'est pas forcément une condamnation. Il s'agit d'un avis religieux pouvant porter sur des domaines variés : les règles fiscales, les pratiques rituelles ou encore l'alimentation. Une fatwa n'étant qu'un avis juridique, elle est donc très différente d'une inquisition.
L'expression «ni dieu ni maître»
Nous sommes en 1879. Le libertaire socialiste Louis-Auguste Blanqui est détenu en prison depuis bientôt 9 ans à cause de son implication dans le groupe insurrectionnel qui occupa pendant quelques heures l'Hôtel de Ville de Paris le 31 octobre 1870. Le 11 juin 1879, il bénéficie d'une amnistie générale par laquelle il est libéré et gracié. Il fonde alors un journal dans lequel il va diffuser ses idées anarchistes et révolutionnaires. Le nom de ce journal ? Ni dieu, ni maître ! Depuis, l'expression «Ni dieu, ni maître» est devenu le slogan de la plupart des anarchistes et d'une manière générale de tous ceux qui contestent l'idée de soumission à des autorités supérieures indiscutables. N'avoir ni dieu, ni maître, c'est être libre de penser, de bouger et de vivre sans aucune contrainte. «L'expression ni dieu ni maître ne veut pas dire qu'il faut insulter les croyances spirituelles des individus ou des groupes mais plutôt qu'il faut combattre tous ceux qui utilisent la religion pour contrôler la pensée et les actes des croyants et non croyants» (Fédération des communistes libertaires du Nord-Est, 2006, Dieu et l'Etat, p.9).
Alain Rey explique dans le «Robert, Dictionnaire Historique de la Langue Française» que la valeur politique du mot Maître est illustrée pendant la féodalité (vers 1190) en parlant du seigneur par rapport au vassal, du roi par rapport à ceux qui sont chargés de le représenter (1530), et dans l'expression redondante «seigneur et maître» (1690) appliquée par ironie au mari. Il ajoute ensuite que l'idée de supériorité s'applique aussi en religion à propos de Dieu, dénommé «maître des seigneurs» (XVe s.), «maître des rois» (1645, Corneille) ou «maître du monde» (1685, La Fontaine).
Ni dieu ni maître, c'est aussi le nom d'un album de Trust (groupe de hard rock), d'une chanson du Groupe La Canaille (groupe de rap) et d'une chanson de Léo Ferré. Pourtant, ces divers titres ont été accueillis en France et ailleurs sans aucune vindicte ni agressivité. Chez nous, le titre d'un film a mis en émoi, outre les talibans, une personne ayant pour devise «honneur et patrie». Dans La Presse du 13 juillet 2011, page 9 (Aux actes, citoyens), cette personne nous explique que, s'il y a violence à l'Africa, c'est que le titre de ce film est une provocation inadmissible en pays musulman. Ce raisonnement médiéval rejoint celui des talibans, c'est l'Inquisition du XIIIe siècle. Heureusement, Monsieur, la Tunisie n'est ni une République islamique, ni un royaume wahabite ni un califat salafiste. C'est un pays musulman, certes, mais libre et démocratique, la preuve c'est qu'on y publie librement des opinions rétrogrades, voire salafistes.
Ce qui me gêne dans le comportement ci-dessus, celui des islamistes (salafistes, modernistes, fondamentalistes, etc.) et de leurs semblables, c'est qu'ils croient qu'ils détiennent la vérité absolue. Ils pensent que ce qu'ils croient, tout le monde devrait le croire. Le problème, c'est que lorsqu'on croit qu'on possède la vérité, alors on a tendance à saper le fondement de toute liberté. Parce que, premièrement, lorsqu'on pense détenir la vérité, on a tendance à vouloir l'imposer aux autres, ce qui est un moyen d'oppression. Et deuxièmement, les gens qui pensent posséder la vérité ne sont eux-mêmes pas libres car ils doivent se plier devant les règles que leur impose leur interprétation de la religion (qui n'est qu'une interprétation parmi d'autres, donc discutable par définition). Mais pour être vraiment libre, il faudrait au contraire que chacun soit capable de créer ses propres vérités, de décider pour soi-même ce qui est bon ou mauvais. La spécifité de l'Islam, c'est que justement chacun est responsable de ses actes directement devant Dieu, sans intermédiaire, sans cheikh ni curé, sans police religieuse ni inquisiteur.
L'inquisition a disparu d'Europe depuis des siècles, pourquoi s'installerait-elle chez nous ? Pourquoi toute cette haine ? Et pourquoi ne pas accepter l'autre avec sa différence, son crâne chevelu ou rasé, ses idées, sa religion et sa culture, à la seule condition qu'il ne vienne pas essayer de nous convaincre avec une kalachnikov en bandoulière ?
Pour conclure ce paragraphe, je vous propose l'historiette suivante : «Il y a des milliers d'années, un homme fit du feu pour la première fois. Il fut probablement brûlé vif sur le bûcher qu'il avait allumé. Il fut considéré comme un malfaiteur qui avait dérobé à un démon un secret que l'humanité redoutait. Mais, grâce à lui, les hommes purent se chauffer, cuire leurs aliments, éclairer leurs cavernes. (...) Cet homme-là, le pionnier, le précurseur, nous le retrouvons dans toutes les légendes que l'homme a imaginées pour expliquer le commencement de toutes choses. Prométhée fut enchaîné à un rocher et dépecé par des vautours parce qu'il avait dérobé le feu des dieux. Adam fut condamné à souffrir parce qu'il avait mangé du fruit de l'arbre de la connaissance. (...) Les grands créateurs : les penseurs, les artistes, les savants, les inventeurs se sont toujours dressés, solitaires, contre les hommes de leur temps».
Ne tombons pas de Charybde en Scylla
A l'origine, Charybde et Scylla auraient été deux dangers du détroit de Messine, entre l'Italie et la Sicile, le premier étant un tourbillon, le second un écueil. Les marins qui cherchaient à éviter le premier allaient périr en s'écrasant sur le second. Présents dans la mythologie grecque, Scylla était présenté comme une créature monstrueuse à plusieurs têtes (Ennahda) et Charybde (RCD) comme un monstre qui, trois fois par jour, aspirait dans d'énormes tourbillons les eaux du détroit avec les bateaux qui y naviguaient, puis les recrachait.
Nous devons nous poser sérieusement la question suivante : que signifie pour nous la révolution ? Si c'est le fait de remplacer le RCD et ses structures par Ennahda et ses structures, alors nous aurons lamentablement échoué. Pourtant, cette révolution avait bien commencé, en l'absence de ces vautours restés à l'affût, confortablement planqués à Londres, Paris ou New York. Aujourd'hui, nous avons la triste impression que notre révolution s'enlise entre les anciens caciques du pouvoir déchu d'un côté, et des islamistes opportunistes de l'autre. Nous connaissons bien les premiers. Quant aux seconds, ce sont des prestidigitateurs qui savent manier la carotte et le bâton. Côté pile: discours légaliste, mielleux à souhait, accompagné d'un clientélisme éhonté (argent à gogo). Côté face: inquisitions, menaces et agressions contre les artistes, groupes de choc visibles et cachés, discours haineux dans les mosquées «conquises», menaces contre la gent féminine, j'en passe et des pires.
Quoiqu'il advienne désormais, «la belle révolution», comme disait Marx à propos de la période de février – mai 1848 en Allemagne, est bel et bien finie; terminé ce moment où toutes les classes sociales tunisiennes pouvaient croire, ou feindre de croire, qu'elles seraient à jamais unies, et heureuses, simplement parce que le benalisme serait liquidé. La révolution tunisienne entre dans une nouvelle phase, où le combat change de nature et de règles. Les prédateurs sont là, ils se partagent déjà les sièges du pouvoir, avec l'assentiment et le soutien de l'Oncle Sam. Celui-ci voudrait, peut-être, tester la Tunisie en y installant un pouvoir islamiste «moderne», soi-disant à la turque, contre-exemple de leur vassal saoudien, repoussoir notoire pour tout démocrate, et soutien indéfectible des islamistes. L'Oncle Sam «veut apprendre la coiffure sur la tête des orphelins», comme le dit un proverbe tunisien. Pour l'Oncle Sam, les orphelins, ce sont nous, les Tunisiens. Il n'est pas trop tard pour empêcher ces vautours de nous raser le crâne, et de nous scalper ensuite. N'oublions pas qu'il a fallu trois ans aux Français pour devenir républicains. La lutte continue. Soyez braves, jeunes Tunisiens ! Ayez du courage ! Défendez votre révolution !


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