Moment fort, couronnant un processus électoral colossal, le premier Tunisien a déposé hier, 19 octobre à 21 heures, heure tunisienne, correspondant à 7 heures du matin du 20 octobre, heure australienne, le premier bulletin de vote des élections de l'Assemblée Nationale Constituante... L'image qui sera retransmise aujourd'hui ne laissera pas indifférent. Les opérations de vote se succéderont d'une région à une autre du monde selon l'ordre des fuseaux horaires, nous laissant pour deux jours encore devant une responsabilité historique résumée dans cette question de la dernière heure : quel vote pour quelle Tunisie ? Décalage horaire oblige, le premier Tunisien a déposé, hier, le premier bulletin de vote des élections de l'Assemblée Nationale Constituante dans un bureau électoral quelque part... en Australie. Il aura inauguré le scrutin qui commence aujourd'hui par les Tunisiens vivant à l'étranger et qui se déroule dimanche 23 octobre en Tunisie. Ainsi, du Canada à Marseille et de Bizerte à Borj El Khadhra, où quelque 27 Tunisiens faisant partie de la communauté sédentarisée du triangle frontalier s'apprêtent à voter, les élections de l'Assemblée nationale Constituante se présentent comme un grand moment de l'histoire de la Tunisie. Moment fortement inscrit dans le paysage médiatique et urbain à la faveur d'une opération de communication et de sensibilisation d'une intensité et d'une perspicacité sans précédent. Sans omettre les murs d'affichage, les voitures aux enseignes, et jusqu'aux Q.G. à ciel ouvert que certains partis bien nantis improvisent. La forte sollicitation y étant pour quelque chose, l'effet d'entraînement aussi, les Tunisiens devront, autant qu'on puisse en juger raisonnablement à ce jour, participer à la grand-messe aussi massivement que l'autorisent la nouveauté du paysage politique et les limites objectives d'une première démocratie. D'autant que celle-ci n'en exclut aucun ayant droit, ouvrant même la porte aux non-inscrits et aux sans-bureau-fixe qui, jusqu'aux dernières heures, peuvent connaître, via SMS, leurs bureau et lieu de vote. «55% des Tunisiens sont optimistes et 66% tout à fait certains d'aller voter...» Outre la sollicitation, il y aurait aussi un état d'âme : selon le dernier sondage de l'Observatoire tunisien de la transition démocratique et la fondation Hanns Seidel, réalisé fin septembre sur un échantillon représentatif de 1034 personnes en âge de voter, l'optimisme et la motivation seraient de retour après la grisaille du printemps et l'incertitude de l'été. Selon cette étude titrée «Perception de la transition démocratique en Tunisie», les Tunisiens seraient optimistes à propos de l'évolution de la Tunisie vers plus de démocratie, à concurrence de 55% contre 32% peu optimistes et 12% pas optimistes du tout... Sur l'intention d'aller voter le 23 octobre, le sondage révèle qu'ils sont quelque 66% d'électeurs potentiels à être tout à fait certains d'aller voter... Ainsi donc, on est bien loin du temps du pourquoi voter, de l'opacité, du boycott, et des dénégations. En revanche, c'est une toute autre question qui préoccupe électeurs et observateurs. A quelques heures du silence des candidats, la voix des électeurs, elle, se fait grave et mature : au-delà du geste, voter est une responsabilité à intérioriser... On est certes bien loin des réticences des débuts, on est tout juste devant son ultime option. Un peu tard mais juste à temps, on choisit son camp, avec les raisons et les sentiments des derniers instants. Beaucoup remettent en question leurs premiers choix, d'autres hésitent encore entre des candidats trop ressemblants. Reste que pour bon nombre de Tunisiens, il devient évident, à la lumière de trois semaines de campagne, que le choix à faire est, en définitive, un choix de société à venir et non de système politique ou économique instantané tel que la campagne et la précampagne en ont formulé. Raisons et sentiments d'une première fois Avec cette question de savoir si les candidats en lice pouvaient faire l'économie de leurs programmes dans cette étape où les Tunisiens s'impatientent de promesses électorales autant que de représentations constitutionnelles, le malentendu aura pris le temps de s'installer quant aux prérogatives de la Constituante. On l'a réitéré plus d'une fois sur nos colonnes : l'étape prochaine est une étape constitutive du contrat social qui sied le mieux à notre pays, à ses traits historiques, géographiques et sa superbe mosaïque. Voter pour de rares indépendants qui n'ont, a priori, d'autre ambition que de rédiger la future Constitution ou pour de grandes formations qui nous représentent ?... Voilà l'une des questions posées à des électeurs partagés à raison entre vote utile, vote confiance et vote récompense. En Tunisie où le plus clair du scrutin — le plus grand nombre de circonscriptions, de bureaux de vote, de candidats et d'électeurs — est attendu dimanche, il reste encore quelques heures pour réfléchir et ce moment de vérité qu'est l'isoloir pour décider. Il reste aussi quelques instants inédits pour se fier à ses intuitions et goûter sans désarroi à la solennité et l'émotion de ce premier rendez-vous démocratique, inespéré il y a quelques mois...