Par Soufiane Ben Farhat • La campagne électorale a été marquée, dans sa dernière ligne droite, par une orchestration des peurs, une propagation inouïe des rumeurs et l'invocation de Satan La Presse — Les gens de ma génération sont constamment rappelés à leurs classiques. Je ne peux m'empêcher de reconnaître Jahiz, Al-Moutanabbi ou Montesquieu dans quelque situation, parfois la plus anodine. La campagne électorale me fait par moments penser à l'incomparable Candide de Voltaire: «On aperçut enfin les côtes de France. ‘‘Avez-vous jamais été en France, monsieur Martin ? dit Candide. – Oui, dit Martin, j'ai parcouru plusieurs provinces. Il y en a où la moitié des habitants est folle, quelques-unes où l'on est trop rusé, d'autres où l'on est communément assez doux et assez bête ; d'autres où l'on fait le bel esprit ; et, dans toutes, la principale occupation est l'amour ; la seconde, de médire ; et la troisième, de dire des sottises. Mais, monsieur Martin, avez-vous vu Paris ? – Oui, j'ai vu Paris; il tient de toutes ces espèces-là; c'est un chaos''». Les gens de ma génération sont constamment rappelés à leurs classiques. Je ne peux m'empêcher de reconnaître Jahiz, Al-Moutanabbi ou Montesquieu dans quelque situation, parfois la plus anodine. La campagne électorale me fait par moments penser à l'incomparable Candide de Voltaire: «On aperçut enfin les côtes de France. ‘‘Avez-vous jamais été en France, monsieur Martin ? dit Candide. – Oui, dit Martin, j'ai parcouru plusieurs provinces. Il y en a où la moitié des habitants est folle, quelques-unes où l'on est trop rusé, d'autres où l'on est communément assez doux et assez bête ; d'autres où l'on fait le bel esprit ; et, dans toutes, la principale occupation est l'amour ; la seconde, de médire ; et la troisième, de dire des sottises. Mais, monsieur Martin, avez-vous vu Paris ? – Oui, j'ai vu Paris; il tient de toutes ces espèces-là; c'est un chaos''». A bien y voir, la campagne électorale pour l'Assemblée constituante — qui se termine aujourd'hui — tient du chaos. On y aura tout vu. Elle nécessite une analyse exhaustive, de forme et de contenu. Un travail scientifique. Bien au-delà des remarques préliminaires publiées il y a peu par quelque comité inféodé à telle instance. Premier constat : la campagne a été marquée, dans sa dernière ligne droite, par une orchestration des peurs, une propagation inouïe des rumeurs et l'invocation de Satan. Un cocktail explosif en somme. Cependant, détrompons-nous. Les sectes sataniques ne s'adonnent guère à la politique chez nous. Du moins jusqu'à nouvel ordre. Ce qui n'exclut pas quelque démarche démentielle de certains protagonistes. Grosso modo, deux spectres sont agités. Pour les uns, il y a péril en la demeure. Et un risque imminent de piquer tête en avant, au lendemain des élections de la Constituante, dans l'Iran des ayatollahs. On remue ciel et terre. On rappelle au bon souvenir du citoyen lambda le supposé drame vécu par les Iraniens au lendemain du renversement du shah. Et l'on s'abstient, bien évidemment, de brosser quelque tableau du régime déchu du shah. Un régime baigné dans le stupre, l'injustice généralisée et le sang, à l'instar de telle sinistre gargouille du moyen-âge. Bref, on promet aux Tunisiens – et surtout aux Tunisiennes — le sort tragique des Iraniens – et surtout des iraniennes — au lendemain de la Révolution islamique d'Iran de janvier 1979. Suivez mon regard. En face, on agite le spectre du sacrilège maçonnique, du sionisme et de Hizb-França, le parti des satellites obscurs inféodés à la France. Et l'on invite volontiers la théorie du complot et les vieilles grimaces de la peur qu'elle suscite. A entendre les faiseurs de peur de ce camp-ci, on ne sera pas loin, au lendemain de l'élection de la Constituante, de la Turquie kémaliste. Une Turquie qui a banni toute trace d'arabité et d'Islam. Une Turquie adoptant l'occidentalisation tous azimuts et tournant le dos au monde arabe et islamique. Pis, une Turquie qui serait partie intégrante du complot impérialiste-sioniste-franc-maçonnique qui tiendrait les rênes du monde. Suivez mon regard, là aussi. Entre les deux, il y a la masse silencieuse. Et comme si l'anathème généralisé ne suffisait pas, on lui administre, en sus, une quantité impressionnante de rumeurs. Perspectives de pénuries par-ci, interdiction de circuler en voiture le jour du scrutin, congés forcés et couvre-feu par-là... Des rumeurs réitérées à satiété. A telle enseigne que le ministère de l'Intérieur a tenu à faire le point. Dans un communiqué publié mercredi, il a appelé l'ensemble des citoyens «à ne pas se laisser influencer par les rumeurs tendancieuses et les fausses informations», établissant un éventuel recours au couvre-feu ou à d'autres mesures d'exception. «Des informations, précise-t-il, qui sont dépourvues de tout fondement et dont le dessein est de troubler le citoyen durant la période électorale». Cerise sur le gâteau, Satan s'invite au débat. Ou plutôt il y est convié. A défaut de l'échange d'idées, de visions et de programmes entre les différents protagonistes, on recourt au vieux stratagème qui consiste à diaboliser l'autre. L'Enfer, c'est l'autre, c'est les autres compte tenu du nombre extrêmement élevé des listes en lice. Les peurs et les rumeurs aidant, Satan valse dans les perspectives brumeuses du chaos des états d'âme.