Par Soufiane BEN FARHAT On a beau la suivre, la campagne électorale pour les élections de l'Assemblée constituante semble plutôt tiède. Plusieurs considérations y président. D'abord les partis politiques. Ils ont beau avoisiner les cent-quinze partis sur la place, ils demeurent toujours faibles. Le bloc des partis historiques traîne encore les séquelles d'une existence en dents de scie sous l'ancien régime. En effet, la douzaine des partis de l'opposition historique étaient soit interdits, soit tenus en laisse ou tout simplement confinés dans la complicité douteuse ou obligée. De leur côté, les nouveaux-venus sur la scène politique ne semblent pas suffisamment outillés pour s'assumer en tant que partis politiques. Surtout en phase électorale. Ne nous y trompons pas. Les périodes de campagne électorale constituent les moments les plus forts et les plus dynamiques des activités partisanes. Aux Etats-Unis d'Amérique, c'est une séquence privilégiée de la politique. Une démonstration aussi des capacités des partis, de leur potentiel de mobilisation et de canalisation de l'intérêt populaire. Chez nous, c'est encore le bricolage qui est de mise. Hormis une poignée de partis qui ratissent plus ou moins large auprès de certaines couches des classes moyennes. Et encore, au petit bonheur la chance. En fait, pour faire propager des idées et des programmes, encore faut-il en avoir. Et, dans leur écrasante majorité, nos partis n'en ont pas. Certains d'entre eux ont jugé bon de publier leur programme à la veille de la campagne électorale, initiée le 1er octobre. Seulement, il s'agit de programmes grandiloquents et vastes, s'étalant sur des centaines de points. Mais ce ne sont guère des programmes électoraux en bonne et due forme. Les positionnements se font donc par familles politiques. C'est-à-dire sur la base du standard idéologique ou affectif. Mais un programme politique ne saurait se limiter aux seules professions de foi généralistes et encore moins aux seuls crédos idéologiques. D'ailleurs, certains partis se sont avisés d'entrer en lice sans programme politique. Ils sèment l'argent à tout vent et s'assurent ainsi des allégeances circonstancielles qu'ils croient volontiers éternelles. A leurs risques et périls, parce que ce qui s'achète se consomme, se dilapide et se vend. Ces considérations, alliées à d'autres, confèrent une certaine tiédeur à la campagne électorale en cours. Et les autres considérations tiennent à l'état psychologique général du Tunisien. Disons-le d'emblée : le Tunisien est fatigué et blasé. Fatigué eu égard aux séquences enchevêtrées des grands chamboulements que connaît le pays depuis la Révolution. Et pour cause. Il vit tout cela à un rythme effréné, saccadé et parfois dans des contours mystérieux. C'est à dire qui échappent de prime abord à l'entendement du citoyen lambda. Blasé, le Tunisien l'est surtout à l'endroit du politique. Il a l'impression que tous disent la même chose. L'uniformité des discours le laisse perplexe. Et méfiant. Parce que les gens se méfient en général de ce qu'ils ignorent ou de ce qu'ils n'arrivent pas à déchiffrer. Nos candidats facilitent cette inclination. Ils campent des postures et réitèrent des déclarations toutes faites, supposées convenir à tous. Or, il y a bien des auditoires différents, des cœurs de cible divers. Le peuple des électeurs n'est pas une masse uniforme. Sa méconnaissance fait qu'il n'y a guère dans la campagne électorale en cours des forums de vis-à-vis contradictoires. Hormis de rares plateaux télé et radio, ce sont des monologues plus ou moins enthousiastes face à des auditoires réduits à l'état de foule informe et acquise. L'aspect festif même de certaines séquences de la campagne électorale s'en ressent. Il y a des meetings sérieux, trop sérieux, qui frisent la parade. Cela tranche net avec notre spontanéité légendaire qui frise, elle, l'anarchie et qui demeure toujours savoureuse et truculente. Bref, la campagne électorale est tiède. Désespérément tiède. Bon vent les sociologues.