Par Foued Allani Kadhafi était-il l'arbre qui cachait la forêt des problèmes, dont certains sont graves, qui attendent la Libye après la chute du régime du dictateur puis sa mort? Vraisembablement, car si la proclamation de la libération du pays, dimanche, par les nouvelles autorités a constitué un profond soulagement pour le peuple libyen ainsi que pour l'ensemble de la communauté internationale, elle inaugure cependant une étape qui s'annonce délicate et même très difficile pour ce peuple meurtri. Humilié et infantilisé par 42 ans de règne sans partage d'un dictateur mégalomane, versatile, imprévisible et sanguinaire, il a été en plus traumatisé par près de neuf mois de violence inouïe. Celle-ci a commencé vers la mi-février par une répression meurtière pour se transformer rapidement en attaques ayant des allures de génocide, perpétrées par un régime terrifié par les vents de la révolution qui venaient de souffler sur ses deux voisins immédiats, puis en une guerre civile avec utilisation d'armes lourdes des deux côtés. Infrastructures, bâtiments publics et privés, archives, pertes humaines s'élevant à 30.000 personnes tuées et des dizaines de milliers d'autres blessées dont la plupart sont des jeunes et une bonne partie des compétences ou devant le devenir bientôt. Un bilan inquiétant et tragique. Il faudra au moins deux générations consécutives pour que toutes ces blessures guérissent et que tous ces traumatismes soient effacés. La reconstruction du pays ne sera donc pas une sinécure comme l'a d'ailleurs reconnu Mahmoud Jibril, le n°2 du Conseil national de transition (CNT). La disparition du dictateur annonce en fait le début d'autres problèmes et non la fin de ces derniers. La difficulté de la reconstruction ne réside pas tant dans les dégâts matériels et humains enregistrés qu'aux conflits, pièges, carences et autres dysfonctionnements et contentieux déjà connus auxquels s'ajouteront certainement d'autres en cours de route. Exsangue, la Libye a perdu, comme déjà dit, bon nombre de ses ressources humaines, mais elle saura les remplacer par les compétences qui étaient en exil. Elle fera redémarrer dans quelques mois sa production pétrolière, véritable atout pour un changement rapide du fardeau du quotidien, mais elle est confrontée à des problèmes beaucoup plus graves que ceux évoqués. La Libye est dépourvue en effet d'un vrai leadership, d'une vision (malgré sa feuille de route pour la transition), d'une société civile, de partis politiques, de tribunaux fiables, de forces de sécurité, d'une armée régulière disciplinée et bien encadrée, de cadres administratifs compétents, etc. Elle regorge par contre de milices armées, de prisonniers non identifiés et à la situation non réglementaire, de mines antipersonnel disséminées partout par les troupes du dictateur, et Seïf El Islam, le fils de Gueddafi, court toujours et risque d'organiser des actes terroristes et autres complots. Armes, règlements de comptes et possibles frustrations En plus des armes légères, l'arsenal libyen en circulation comprend des milliers de missiles dont une bonne partie du type sol-air (risques pour l'aviation civile) encore dans les mains des combattants, parmi eux des centaines de «jihadistes» rompus aux combats car ayant participé à la guerre en Afghanistan et en Irak. Les combattants galvanisés par les batailles puis par la victoire risquent en plus de refuser de remettre leurs armes aux autorités, qui, elles, sont provisoires et parfois contestées. Craintes exprimées ouvertement par l'ONU, les gouvernements britannique et français, ainsi que par l'Administration américaine. Pour ces combattants, les armes constituent une garantie pour leur avenir. Se séparer de celles-ci peut en effet signifier pour eux la marginalisation après tant de sacrifices. Armée ainsi, la Libye n'est en effet pas à l'abri de dérapages tragiques, surtout avec l'existence de lourds contentieux qui pourraient générer des règlements de comptes, des vengeances et des actes de banditisme de tous genres. D'énormes bavures ont été déjà enregistrées sous forme de sévices contre des prisonniers, des exécutions sommaires, etc. Des conflits au sein de l'équipe dirigeante ne tarderont pas aussi à éclater au grand jour. La pression exercée par la mouvance islamiste se fait déjà sentir. De la promesse faite au début pour l'édification d'un Etat civique, démocratique, respectant droits de l'Homme et libertés après la chute du régime, voilà le président du CNT annoncer dimanche que le nouvel Etat libyen sera basé sur la Charia (lire dans sa conception obsolète excluant tout effort d'innovation, ijtihad) sachant que M. Abdeljelil anticipe ici dangereusement en usurpant le droit du peuple libyen à décider librement du type d'Etat qu'il veut instaurer (il s'est légèrement rétracté le lendemain). Cela sans parler des mouvements de contestation qui pourraient se multiplier en réaction à des mesures ou positions des autorités provisoires et qui pourraient dégénérer en affrontements violents Viendra s'ajouter à tout cela le dossier de la mort de Kadhafi, vraisemblalement tué par ceux qui l'ont capturé. Si d'aucuns pourraient comprendre que ces derniers aient agi sous l'emprises de la peur, de la rage de voir leur pays détruit et leurs proches tués, de la fatigue accumulée et de l'énervement, personne ne pourrait par contre accepter le sort réservé à ce prisonnier de guerre, aussi criminel soit-il, contraire aux conventions de Genève (droit de la guerre) et aux préceptes de l'Islam… notre religion interdit formellement de maltraiter les prisonniers quels qu'ils soient, encore moins les abattre. Cet acte illégal facilité il faut le dire par une fatwa émise par El Qardhaoui le 21 février dernier sur l'écran d'Al Jazira, ne fera qu'attiser la volonté de vengeance chez les proches de Kadhafi et les tribus alliées qui profitaient de ses largesses. Ces dernières ont déjà annoncé qu'elles vont réclamer le tribut du sang selon la loi du talion. Meurtri, sans expérience politique, croulant sous ces problèmes et bien d'autres qui ne manqueront pas de surgir, le peuple libyen devra affronter plusieurs défis à la fois y compris la voracité des puissances occidentales. Mais sa fierté, sa dignité et sa liberté retrouvées, et grâce à l'exemple de la Tunisie et de l'Egypte, le peuple libyen pourrait déjouer tous ces pièges et arriver à bon port.