Il y a tellement de grèves en Tunisie qu'on y devient de plus en plus habitué ! Et dire que ces grèves se font à l'heure où l'économie du pays exige des travailleurs et des fonctionnaires davantage d'heures supplémentaires et plus d'abnégation pour sortir de la crise qui commence à peser sur la vie de tous les Tunisiens sans exception. Le gouvernement provisoire essaie tant bien que mal d'apaiser la situation en essayant d'apporter, dans la mesure du possible, les solutions qui s'imposent aux différends urgents déclenchés dans les entreprises privées ou les établissements publics, en reportant d'autres plus ardus à plus tard. Les économistes, eux, crient au désastre, si le rythme actuel de l'économie nationale persiste plus longtemps ! On parle déjà d'un taux de croissance qui frôle 0 % alors qu'il était de l'ordre de 4,1 % en 2010. Cela n'est-il pas dû aux dégradations et à la paralysie de l'activité économique remarquées depuis le déclenchement de la Révolution ? Et puis, qu'a-t-on récolté de la grève des agents municipaux, sinon des rues jonchées depuis plusieurs jours de poubelles aux odeurs nauséabondes qui empestent toute la ville de Tunis ? Où va-t-on ? L'on se demande où va le pays avec cette vague de grèves, de sit-in et d'arrêts successifs de travail. La plupart étant illicites et sauvages, puisque sans préavis, ces grèves sont sans doute à l'origine de grosses pertes financières et pour les employeurs et pour les employés ; abstraction faite des revendications des grévistes qui pourraient être légitimes. Des grèves en série, dans le domaine public ou privé, ont éclaté et d'autres sont déjà annoncées. Si certains grévistes ont eu gain de cause et ont pu regagner leurs postes d'emploi avec un minimum de dégâts; d'autres continuent à se confronter au bras de fer avec leurs employeurs au risque de détériorer les relations professionnelles et compromettre davantage la situation économique et financière de l'institution à laquelle ils appartiennent, à cause de l'intransigeance des uns et des autres. Les grévistes n'ont peut-être pas tort de vouloir revendiquer leurs droits à ces moments précis, tant ils en étaient privés depuis vingt-trois ans ! Encore faut-il qu'ils sachent que ce n'est pas le moment ! Par les temps qui courent, le pays a besoin de sacrifices, d'indulgence et de patience de la part de tous pour dépasser cette période difficile qui a suivi la Révolution et où il faut repousser toute tendance à l'égoïsme et aux intérêts personnels et penser à faire face à tant de problèmes accumulés, à veiller à la réussite de notre révolution et à l'adhésion à tous les idéaux qu'elle a définis. Le temps n'est pas donc aux contestations ni aux revendications de salaires ou de promotions professionnelles ; la priorité absolue étant aux milliers de chômeurs auxquels il faut fournir un emploi. Le ministre de la Formation professionnelle et de l'Emploi, Saïd Aydi n'a-t-il pas donné l'alerte en annonçant il y a quelques semaines que « la moyenne nationale du chômage est de 19 % actuellement contre 14 % en 2010 où l'on comptait 520 000 chômeurs dont 160 000 diplômés universitaires. L'arrivée de nouveaux diplômés universitaires sur le marché de l'emploi durant le mois de juillet prochain, mais également la perte de 10 000 emplois en 2011 en raison d'un taux de croissance ne dépassant pas 1 % et le retour de milliers de Tunisiens de Libye, aggravent la situation pour l'année en cours avec un chiffre estimé de 700 000 chômeurs. » Est-ce par les grèves qu'on pourrait résoudre le problème du chômage ? Sans doute, si les grèves vont continuer outre mesure, il faut s'attendre à une grave dégradation de la situation économique et sociale du pays, comme dit le proverbe : « Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse » De grâce ! Assez de grèves ! La grève n'est pas interdite chez nous. C'est un acquis syndical dont on est fier. C'est un moyen efficace employé par les ouvriers et les salariés pour exercer des pressions sur leur patron afin d'acquérir leurs droits. N'en disconvenons pas, mais les circonstances par lesquelles passe le pays aujourd'hui ne permettent pas qu'on agisse de la sorte, causant des pertes colossales aux différentes entreprises qui pourraient être acculées à la faillite et à la fermeture, provoquant ainsi le chômage technique à des milliers d'ouvriers. Si on veut garder son emploi, ne vaut-il pas mieux se passer de grève, du moins dans la conjoncture actuelle où l'économie du pays a besoin des efforts de tous pour être rehaussée afin d'atteindre un taux d'accroissement normal capable d'enrayer la montée du chômage ? Cependant, il ne faut pas se laisser aller à des généralisations, car les mentalités diffèrent et le sentiment du patriotisme et du civisme existe chez pas mal de citoyens qui ont fait preuve de compréhension et de clairvoyance en cette période difficile en mettant l'intérêt général au dessus de toutes les ambitions strictement personnelles et immodérées. C'est ainsi que certains secteurs ont refusé d'aller en grève, quoiqu'ils aient des problèmes d'ordre professionnel et financier, ayant choisi le dialogue entre les partenaires sans interrompre le travail pour traiter des différentes questions qui font l'objet de litige. Pour ne citer qu'un seul exemple, le secteur de l'enseignement n'a observé aucun jour de grève depuis le 14 janvier, préférant entrer en négociations directes avec le ministère de tutelle, une méthode qui débouchera certainement sur un accord définitif sur les revendications des enseignants. Une attitude remarquable et respectueuse adoptée par le corps enseignant à tous ses niveaux qui mérite d'ailleurs le respect de tous ; d'autant plus que – et aussi paradoxal que cela puisse paraître – c'est le seul secteur qui faisait fréquemment des grèves durant les vingt-trois ans passés sous l'ancien régime ! C'est que le droit de grève demeure un moyen efficace pour qui sait en user, surtout au moment opportun ! De grâce ! Assez de grèves pour le moment ! Pensons d'abord à ces 700.000 chômeurs qui attendent d'être casés ! La priorité leur revient, et à eux seuls !