Par Ezzeddine BEN HAMIDA Ortega y Gasset (1883 -1955), philosophe, sociologue et homme politique espagnol, écrivit en 1937, pour les Français, dans le prologue de son livre La Révolte des masses : «Etre de gauche, être de droite, ce sont deux des innombrables façons qui s'offrent à l'homme d'être un imbécile; toutes deux sont, en effet, des formes d'hémiplégie mentale». Peut-on transposer un des clivages fondamentaux de la vie politique française à notre société ? Avant de répondre à cette question rappelons que ce clivage est dû à un concours de pur hasard. En effet, lorsque le 28 août 1789 les députés de l'Assemblée constituante se sont regroupés à Versailles de chaque côté du président de séance pour faciliter le décompte des votes sur l'opportunité d'attribuer au roi, dans la future Constitution, un droit de veto sur les lois adoptées par le Parlement, ils ne pouvaient deviner qu'ils étaient en train de donner naissance à un clivage fondamental de la vie politique française. Les partisans du vote se sont spontanément rangés à droite du Président, les adversaires à gauche. En réalité, c'est le centre qui l'a emporté. Dans la Constitution de 1791, Louis XVI disposait d'un veto suspensif de 2 ans. De ce concours de circonstances, on ne peut donc tirer aucune indication idéologique : la gauche aurait parfaitement pu être la droite et inversement. Pour être clair, à mes yeux, il n'y a pas une politique de gauche et une politique de droite; il y a une bonne politique économique et une mauvaise politique économique. L'emploi doit être au centre de toutes les politiques économiques sans oublier le souci permanent d'une répartition égalitaire des richesses et l'assurance de l'égalité des chances pour garantir une meilleure circulation des élites et éviter ainsi la sclérose des structures économiques et institutionnelles de l'Etat. A l'heure actuelle, un Etat-Providence fort est indispensable. Rendre aux Tunisiennes et Tunisiens leur dignité et libérer les plus démunis d'entre eux du besoin sont des nécessités absolues. A mon sens, la dialectique la plus appropriée pour l'analyse de notre paysage politique et des différents courants qui le dominent est celle qui oppose : conservateurs/modernistes. Il s'agit donc d'une opposition d'ordre moral, philosophique et sociétal. En somme, il s'agit d'un choix de civilisation. Cela m'amène à me poser une question fondamentale : Voulons-nous une société qui prône le retour vers le passé, conservatrice et profondément fondamentaliste ou au contraire une société résolument tournée vers l'avenir, moderne et surtout progressiste ? Le passé appartient déjà à l'histoire et l'histoire appartient aux historiens ! Même si notre histoire est grande – avec ses phases de gloire et de regret — notre marche vers la modernité est entamée depuis plus de 50 ans. Inutile donc de regarder derrière nous. L'émancipation de la femme est un acquis qu'il faut défendre d'une manière intransigeante. La monogamie est un droit absolu auquel les Tunisiennes et les Tunisiens sont profondément attachés. Supprimer une telle avancée sociale est abracadabrantesque. La monogamie devrait être inscrite dans la nouvelle Constitution. Réduire les femmes aux tâches domestiques et à leur simple fonction de procréation est, non seulement, une absurdité morale et sociale mais aussi économique : pour reprendre les termes de Ortega y Gasset c'est une «(...) forme d'hémiplégie mentale». La modernité ne veut pas dire oublier notre composante arabo-musulmane, c'est-à-dire notre culture, notre identité, notre histoire et notre religion. Dieu merci pour cette lumière intérieure : l'Islam, qui nous procure sérénité, équilibre intérieur et apaisement pendant les moments difficiles. L'Islam est une Banque des Faveurs (j'ai vu la première fois mentionnée la Banque des Faveurs dans le roman de Paulo Coelho «Le Zahir», lui-même a emprunté cette idée à Tom Wolfe «Le Bûcher des vanités») dans laquelle on peut aller chercher à volonté pendant les moments difficiles les explications nécessaires pour éclairer nos esprits, calmer nos angoisses et apaiser nos inquiétudes. Nos croyances idéologiques et spirituelles doivent relever de la sphère privée. Personne n'a le monopole de la religion. Les Tunisiennes et les Tunisiens se réclament d'une pratique modérée, nourrie d'une foi moderne, ouverte sur l'extérieur depuis toujours. La modernité implique aujourd'hui la modernisation de l'économie et de la société. Autrement dit, il faudrait une meilleure justice sociale. Les travailleurs devraient pouvoir obtenir une juste part dans le partage de la richesse produite (la valeur ajoutée). Ils devraient également participer aux décisions qui déterminent la vie de la société. Le chômage de masse (le taux est de près de 25%), qui s'explique fondamentalement par des mutations sectorielles (chômage structurel) et se traduit par la montée de la précarité, gangrène la vie socioéconomique de notre société et ampute l'espoir de nos jeunes. Inutile donc de s'attarder sur des débats d'ordre identitaire qui sont par nature stériles et ils n'ont pas de place dans notre société. J'étais outré cet été par la misère qui a caractérisé ces pseudo-débats importés, sans doute, de l'Europe. La France est en train de vivre une véritable mutation culturelle : elle a peur pour sa véritable identité chrétienne et son héritage romain. Elle s'interroge donc légitimement sur la place de l'islam dans sa société. La Tunisie est une société arabo-musulmane : elle n'a pas à s'interroger sur ces thèmes ! La préoccupation fondamentale de nos jeunes est celle de décrocher des emplois dignes de ce nom. Des emplois stables et pérennisés – d'ailleurs, c'est la condition sine qua non pour retrouver un rythme de croissance économique soutenu et durable — qui leur permettent de fonder des foyers, des familles, de voyager et de rêver. Offrons donc à nos enfants et à nos jeunes la possibilité de rêver.