Grâce aux poursuites engagées par le gendarme de la Bourse contre la banque d'affaires, l'opinion publique américaine risque de basculer en faveur de la réforme du système financier promue par les démocrates. Déjà, en novembre 2009, des activistes américains réclamaient plus de contrôle des banques sous les fenêtres de Goldman Sachs à Washington. La Securities and Exchange Commission [SEC, le gendarme de la Bourse américaine] a décidé la semaine dernière [le 16 avril] de poursuivre Goldman Sachs, qu'elle accuse d'avoir trompé les investisseurs. Même si la banque nie avoir fait quoi que ce soit de mal, cette décision ne pouvait mieux tomber pour les démocrates, qui cherchent à faire voter une réforme visant à réglementer les marchés financiers dans les semaines à venir. Elle apporte des munitions supplémentaires à Chris Dodd, le président démocrate de la commission bancaire du Sénat, et à la Maison-Blanche, qui s'efforcent de faire passer le Parti républicain pour un serviteur des groupes de pression de Wall Street. Les républicains «ne veulent pas expliquer pourquoi une de nos grandes banques d'investissement est poursuivie par les autorités : ils ne veulent pas reconnaître qu'ils attendent tranquillement sur la touche et permettent ainsi que ce genre de chose se reproduise», a déclaré M. Dodd le 18 avril. Barack Obama a lui aussi évoqué la décision de la SEC. Dans son discours vidéo hebdomadaire de samedi [17 avril], il a accusé Mitch McConnell, le président du groupe républicain au Sénat, minoritaire, d'être «cynique et trompeur» lorsqu'il présente la réforme financière comme un nouveau plan de sauvetage de Wall Street. Contrairement à ce qui s'est produit pour la bataille épique de la réforme du système de santé, l'opinion semble soutenir fermement M. Obama quant à la nécessité de brider les marchés financiers. Le Président se rendra à Wall Street le 22 avril pour défendre son projet. Selon une étude réalisée par le Pew Research Center et publiée dimanche, la cote de confiance du gouvernement est tombée à 22 %, un record. Si une majorité croissante d'Américains souhaitent que le gouvernement s'implique moins dans l'économie, ils sont nombreux à faire une exception pour la réforme de Wall Street. L'affaire Goldman Sachs va probablement renforcer ce sentiment. Cette affaire est peut-être le cadeau du ciel dont M. Obama a besoin pour faire adopter sa deuxième réforme historique avant que la campagne pour les élections de mi-mandat ne commence sérieusement, estiment les analystes. «Avec son timing et sa valeur politique, l'affaire Goldman Sachs est à la réforme des marchés financiers ce que l'augmentation des primes de (la compagnie d'assurances) Anthem Blue Cross a été à la réforme du système de santé en février, déclare Bill Galston, de la Brookings Institution (un groupe de réflexion conservateur). Les démocrates vont en tirer tout le parti qu'ils peuvent.» Ceux-ci devront cependant surmonter deux gros obstacles avant de pouvoir faire adopter leur projet de loi. D'abord, il faut qu'ils convainquent au moins un sénateur républicain de soutenir le texte pour atteindre le seuil de 60 voix requis pour empêcher toute obstruction. Ensuite, Wall Street semble se préparer à investir massivement pour bloquer le projet actuel. Les groupes de pression ont déjà dépensé près de 500 millions de dollars (375 millions d'euros) pour combattre des dispositions essentielles du texte, en particulier la création d'une agence chargée de défendre les consommateurs et le transfert des transactions de produits dérivés [aujourd'hui réalisées de gré à gré] sur des marchés classiques. Ces deux composantes de la réforme ont d'ailleurs été considérablement assouplies, par rapport au texte initial. Ces sommes vont toutefois peut-être paraître ridicules dans les semaines à venir, alors que la réforme approche de la phase finale. Des poids lourds, comme la Chambre de commerce américaine, promettent en effet d'augmenter leurs investissements publicitaires en faveur d'une «réforme acceptée par les deux partis» (donc forcément édulcorée], ajoute M. Galston. «Il y a beaucoup d'organisations énormes, éléphantesques, susceptibles de battre des records de dépenses dans les prochaines semaines pour torpiller le projet.» Il y a donc deux scénarios possibles: soit Chris Dodd parvient à convaincre au moins un sénateur républicain de sortir des rangs, au risque d'être accusé de traîtrise par ses pairs, soit la réforme échoue, ce qui permet à M. Obama de faire passer les républicains pour le parti de Wall Street. En comparaison de ce qui s'est passé pour la réforme du système de santé, qui demeure impopulaire, les choses pourraient difficilement s'annoncer moins favorablement pour la Maison-Blanche. Quoi qu'il arrive à la réforme des marchés financiers, Barack Obama en tirera un bénéfice politique.