Par Lilia Hadj Khalifa BEN SALEM Loin d'être une experte en politique, je me permets de livrer ma vision de profane sur l'arrivée du parti «à tendance islamique» — c'est ainsi que ses partisans aiment qu'on le désigne — au pouvoir. Il y a deux façons de voir les choses : le verre à moitié vide ou à moitié plein... La pessimiste, le verre à moitié vide qui consiste à dire que les islamistes tiennent un double discours parce qu'ils n'ont pas d'autre choix : ils n'ont aucune expérience gouvernementale, ils ont besoin d'une crédibilité internationale, ils sont en train de chercher des alliances, non seulement parce qu'ils n'ont pas la majorité absolue à l'Assemblée constituante, mais également parce que, vu la conjoncture nationale et internationale, ils auront besoin d'un bouc émissaire pour se justifier au bout d'un an de gestion de l'Etat, en cas d'échec. De plus, il semblerait que la base du parti Ennahdha soit beaucoup plus radicale que ses dirigeants et in fine, ces dirigeants chercheront à satisfaire le plus grand nombre pour garantir leur réélection à terme. Ceci d'un point de vue politique. D'un point de vue idéologique, beaucoup d'analystes parlent d'une « islamisation par le bas ». C'est l'idée que ces gens, plutôt que d'imposer frontalement leurs idées, vont «grapiller» petit à petit dans divers domaines, discrètement, en apportant de petites modifications çà et là : on commence par vouloir légaliser un parti salafiste, on remet en question le principe de l'adoption, on parle de malentendu si le mot « califat » est prononcé... Au bout de quelques années, la société tunisienne, si elle n'est pas vigilante, pourrait se retrouver quelques siècles en arrière dans bon nombre de domaines. L'optimiste, le verre à moitié plein, consiste à considérer la situation d'un point de vue plus «international». Depuis sa légalisation, le leitmotiv du parti islamiste a été l'islam modéré, « à la turque ». Dans ce sens, la visite du chef du gouvernement turc Tayyip Erdogan en Tunisie au mois de mai dernier ne me semble pas anodine. Bien sûr, les partisans du verre à moitié vide diront que la Tunisie et la Turquie n'ont rien en commun, cette dernière ayant un siècle de laïcité à son actif. Très juste, mais il ne s'agit pas d'établir une comparaison entre les deux pays, mais simplement de constater que le modèle islamique iranien ou afghan ne fait rêver aucune société musulmane, aussi conservatrice soit-elle, et que l'islam par la contrainte a montré ses limites. Alors, peut-être que l'avenir de l'islam dans le monde se trouve justement dans le modèle de l'AKP. Le parti turc pourrait exporter son modèle vers toutes les démocraties naissantes du monde arabe (Libye, Egypte, Maroc, Syrie bientôt), et la Turquie pourrait prendre la tête de toutes ces nations pour faire face à une Europe en grande difficulté, une Amérique qui, bientôt, ne dirigera plus le monde et une Asie en passe de le diriger. Et d'ailleurs quelle belle revanche sur l'histoire pour les Turcs après la domination de l'Empire Ottoman pendant près de six siècles ! Les pays arabes ont toujours péché par leur manque de cohésion. Encore une fois, la sagesse populaire : l'union fait la force... Un pays aux portes de l'Europe en tête, les pétrodollars des pays du Golfe en assise financière, des modèles de démocratie dans des pays débarrassés de leurs dictateurs respectifs, exit la stigmatisation des musulmans dans les sociétés occidentales (Israël n'a qu'à bien se tenir !): voilà ce qui pourrait motiver les islamistes au pouvoir et faire adhérer tout un peuple, y compris sa frange la plus réticente...