Le torchon brûle depuis des semaines entre la ministre de la Femme dans le gouvernement sortant, Mme Lilia Laâbidi, et le personnel du ministère qui avait déserté, hier, le siège ministériel pour se rendre à celui de l'Ugtt, où une réunion devait se tenir avec des représentants de la centrale syndicale. Menée par le syndicat de base des agents et des cadres, cette mobilisation vient, selon les contestataires, «pour faire enfin entendre les doléances du personnel, dénoncer les abus administratifs et trouver des solutions auprès de l'Ugtt, après que toutes les tentatives et appels pour assainir le ministère de la corruption eurent échoué». Sit-ins, lettres adressées à la ministre et campagne médiatique ont été utilisés par le personnel du ministère pour dénoncer des cas d'abus de pouvoir, de harcèlement administratif, de dégradation professionnelle, de mutations abusives et de mauvaise gestion de projets et de programmes importants, dont certains relèvent de la coopération internationale. «Notre objectif premier était de démasquer les responsables de ces abus et d'oeuvrer pour instaurer des conditions de travail réellement bonnes», précise-t-on du côté des syndiqués. Ali Belhédi, membre du bureau du syndicat, souligne à propos de cette mobilisation qu'«il ne s'agit pas d'un sit-in pour des revendications sociales : nous respectons l'appel à la trêve sociale de six mois, mais après le 14 janvier, chaque Tunisien se doit de dénoncer les abus et la corruption quand ils existent et de faire front au despotisme et à la dictature sous quelque forme que ce soit». Le personnel du ministère tient à répondre à la campagne médiatique diffamatoire, selon lui, dirigée par Mme Lilia Laâbidi à l'encontre des cadres du ministère accusés, dans un article publié, «d'être incompétents et de souffrir de troubles psychologiques». Mais pas seulement, ajoute-t-on. Selon les contestataires, après le 14 janvier, le ministère a souffert d'une mauvaise gestion financière et administrative. Les compétences ont été écartées et les grands projets bloqués. L'ex-sous-directrice chargée de la prévoyance et de l'encadrement de la femme rurale et de la stratégie de lutte contre la violence à l'égard des femmes, dégradée de sa fonction, affirme que «des projets montés dans le cadre de la coopération internationale ont été gelés sans raison valable, comme le projet d'appui institutionnel relatif à la promotion de la femme rurale dans 10 gouvernorats, un don espagnol de 1,110 millions de dinars, celui relatif à la stratégie de lutte contre la violence à l'égard des femmes, ou encore l'institutionnalisation de l'approche genre dans les ministères clés (emploi, santé, éducation, finances...) et le projet avec la coopération italienne pour la promotion de l'emploi des femmes diplômées du supérieur». Les contestataires soutiennent que les tensions remontent à février 2011, quand les fonctionnaires du ministère ont organisé un mouvement de contestation réclamant le départ des symboles de la corruption sous l'ancien régime. Ce mouvement a débouché, précisent-ils, sur des sanctions administratives contre les sit-ineurs et l'éloignement des compétences du ministère, notamment en signant la fin du détachement de certaines d'entre elles. Chassé-croisé d'accusations En réponse à ces accusations, la ministre de la Femme, Mme Lilia Laâbidi, n'y va pas par quatre chemins et résume ce qui s'est passé en trois phrases. La première : «J'ai travaillé avec les personnes qui étaient disponibles et disposées à travailler avec moi car, en tant que membre du gouvernement provisoire, j'avais une obligation de résultat ». La seconde : «Après évaluation, le dossier de la femme rurale s'est avéré vide, rien n'a été fait durant 23 ans, les pôles de rayonnement pour la femme rurale dont on a toujours parlé et que j'ai visités un à un sont fermés». La troisième : «Tout ce mouvement est fait par des personnes qui cherchent tout simplement à se positionner». La ministre insiste sur le fait que toutes ces personnes ont conservé leur salaire et leur travail, qu'aucun titre confirmé n'a été touché, aucune mesure administrative abusive n'a été prise, mais que la tension qui prévaut au sein du ministère a, en revanche, anéanti toute autorité administrative. «Je ne peux plus prendre de décisions, même par nécessité de service, car elles ne sont pas appliquées et entrainent systématiquement un mouvement au niveau du syndicat», précise encore la ministre. Le directeur général des services communs, une des personnes visées par le mouvement de contestation depuis le mois de février dernier, indique pour sa part que ce mouvement qui a pris de l'ampleur grâce à une campagne médiatique organisée basée sur des fuites de documents officiels, visent à mettre la pression sur la ministre afin d'empêcher toute poursuite administrative et judiciaire contre les personnes qui sont impliquées dans des détournements de fonds et/ou d'équipements du ministère. «Parmi ces personnes, il y a des membres du syndicat de base qui a été créé depuis seulement une vingtaine de jours», ajoute-t-il. Pour Mme Lilia Laâbidi, le ministère de la Femme a été sous l'ancien régime une vitrine : les décisions étaient prises à l'extérieur et le travail fait par des experts étrangers au ministère. Ce qui pourrait expliquer, selon la ministre, cette résistance. Mme Lilia Laâbidi, qui doit céder, dans quelques jours, son bureau à la nouvelle ministre de la Femme, quitte le ministère avec des sentiments mitigés, empreints à la fois de déception et de satisfaction. Déçue par le comportement du personnel qu'elle considère comme inadapté à une période de construction démocratique, mais satisfaite par les expériences pilotes qu'elle a pu réaliser au cours de ces derniers mois avec un minimum d'argent : «Nous avons fait des économies de café et de fleurs notamment pour réduire les dépenses superflues», précise-t-elle. Ce mouvement de contestation qui, au départ, ne visait pas personnellement Mme Lilia Laâbidi, pèsera-t-il sur son bilan à la tête du ministère de la Femme ? Du côté de l'Ugtt, la réunion d'hier s'est terminée sur un accord commun entre le syndicat des agents et des cadres du ministère de la Femme et le Syndicat général des cadres de l'enfance, lesquels avaient rejoint le syndicat pour poursuivre le mouvement, afin d'informer l'opinion publique et, surtout, le prochain gouvernement, des abus qu'ils appellent à vérifier et afin que soient prises les mesures nécessaires contre les personnes qui ont été à l'origine de cette grave crise que le ministère n'a jamais connue.