Par Dr Moez BEN KHEMIS En réponse à l'article «Qu'y a-t-il à comprendre ?» paru dans le journal La Presse du 31 décembre dernier, une petite mise au point s'impose pour remettre de l'ordre dans certains esprits. «Nous sommes amis de La France»....On nous a souvent réitéré ce syntagme à tel point qu'on a fini par y croire. Alors quand –à la grande stupeur des observateurs — un nouveau chef d'Etat ou autres journalistes et intellectuels lancent une critique envers la France, c'est immédiatement mal pris, voire sanctionné. En réalité, ce dont certaines personnes ont bien du mal à se rappeler, c'est le passé colonial de la France en Afrique et particulièrement en Afrique du Nord. L'extension de la souveraineté française a impliqué bien évidemment aussi bien la domination politique que l'exploitation économique du territoire annexé durant ce passé – pourtant pas si lointain — et même des décennies après la décolonisation. Rappelons juste que cette colonisation avait plusieurs motivations. Principalement des motivations économiques: s'emparer des richesses d'un pays et assurer l'approvisionnement en matières premières. Rien qu'en Tunisie, le phosphate, le pétrole, le gaz naturel, les produits agricoles de premier choix, tels que les agrumes, le blé dur, les dattes, l'huiles d'olive et bien d'autres étaient le privilège de la France. Aussi, garantir des débouchés à l'industrie nationale française : le parc automobile tunisien et tout le marché de pièces autos qui s'ensuit — pour ne citer que ça — en témoignent largement. La France nous a aussi légué un éreintant héritage: la langue française. En Tunisie, non seulement l'administration mais aussi les études secondaires et universitaires, jusqu'à la recherche scientifique, se font en langue française. Même notre dialecte arabe s'est vu greffer une multitude de mots français sangsues. Alors que nul ne peut nier que la langue des sciences, c'est l'anglais. Nul ne peut aussi ignorer que l'occupation française a apporté au peuple tunisien son lot de massacres, de spoliation et d'asservissement. L'histoire retiendra en outre que la France avait souvent fermé l'œil, s'agissant du régime dictatorial de Ben Ali. En attestent les couacs de la gestion française sous Sarkozy de la révolte tunisienne; ainsi que les propos de l'ex-ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot -Marie proposant aux autorités tunisiennes tyranniques le savoir-faire de la police française pour maintenir l'ordre en Tunisie, alors que les martyrs, du haut de leurs 20 ans tombaient sous les balles des snipers du traître dictateur. Cette mauvaise attitude s'est certes soldée par sa démission forcée, mais compte tenu de l'ampleur du scandale, ce n'était nullement cher payé. D'autre part, la relation verticale et outrecuidante de la France ne fait que s'éterniser. Alors qu'une politique intelligente d'attractivité universitaire supposerait inciter les meilleurs étudiants étrangers, en l'occurrence tunisiens, à venir étudier et travailler en France, c'est exactement le contraire qui se passe. En effet, les étudiants, les jeunes doctorants, ainsi que les jeunes diplômés tunisiens qui se voient refuser un visa d'étude en France se font de plus en plus nombreux. Et même pour les plus chanceux qui parviennent à décrocher ce terrible visa, tout est mis en œuvre pour les dissuader de rester en France et rebrousser chemin au plus vite, à commencer par les longues et désagréables procédures administratives. La «circulaire Claude Guéant» (ministre de l'Intérieur) du 31 mai dernier relative à la maîtrise de l'immigration professionnelle n'a fait qu'aggraver la situation. Les jeunes médecins spécialistes aussi se sont trouvés en plein collimateur. Ainsi toutes leurs candidatures pour des stages de perfectionnement en France ont été rejetées. Comme si ca ne suffisait point, après cette circulaire, le gouvernement français vient de créer dans la loi de finances pour 2012,-promulguée le 28 décembre 2011 — une nouvelle taxe sur les étudiants étrangers. Gratuit jusqu'en décembre 2008, le renouvellement d'un titre de séjour étudiant est actuellement soumis à une taxe comprise entre 55 et 70 euros. A partir du 1er janvier, la taxe variera entre 200 et 385 euros. A cela s'ajoute une nouvelle contribution de 110 euros payables dès le dépôt de la demande et non remboursable même en cas de refus. Cela a bien évidemment fait couler beaucoup d'encre sans succès. La France continue à balancer des discours fallacieux sur une coopération franco-tunisienne prospère et fructifiante depuis le 14 janvier dernier. Oui, nous sommes amis de la France et du peuple français. Mais cela ne nous empêche point de critiquer sévèrement la politique française qui pour des raisons électoralistes dont tout le monde connaît l'envergure, se permet de diaboliser « les non-Français » et plus précisément les Maghrébins arabes et musulmans. Depuis notre glorieuse révolution, Français et nous sommes plus que des amis, nous sommes des partenaires et non des moindres messieurs. Penser que nous sommes importants pour la France, ce n'est pas «probablement» mais c'est unanimement vrai. Face à ses propres appréhensions, la France se doit de se rassurer elle-même et de réviser sa politique envers ses partenaires de l'autre rive méditerranéenne afin de ne pas ternir une « image à l'étranger» déjà écornée. Après tout, la France a tout à gagner, surtout par ces moments de crise économique européenne.