Les rapports incestueux entre football et politique expliquent en grande partie ce mal jusqu'ici incurable qu'est l'opportunisme froid des dirigeants. Qu'on le veuille ou non, le football est le sport politique par excellence. Le «people's game» fut et restera un outil au service du politique. On le comprend bien, les dictatures se sont emparées du foot pour en faire leur vitrine, vanter l'excellence de leurs méthodes, contrôler les masses, même si les supporters pouvaient y trouver un espace de liberté. Devant cette instrumentalisation, peu de voix s'élevèrent, surtout pas celle de la Fifa. Peut-être, est-ce là l'une des raisons de l'attribution de la World Cup 2010 à l'Afrique du Sud : réparer son silence durant le régime d'apartheid. En Afrique, plus que partout ailleurs, le football est pour ces régimes un secteur qu'il est absolument nécessaire de contrôler quitte à y injecter des budgets énormes en projets de prestige et en primes de motivation. Quitte à garder les fédérations nationales de football sous leur contrôle en plaçant des personnes proches à leur tête. Le pouvoir associe le football à la propagande du régime. Propagande et mainmise De nombreux exemples peuvent être évoqués. En Tunisie, le foot était jusqu'à une date récente un moyen entre les mains de quelques personnes (Slim Chiboub, le gendre du président Ben Ali, et Abdelhamid Slama, le conseiller en sport au palais), ainsi que de l'appareil policier pour faire la propagande de leur maître. Au prix d'un véritable massacre des valeurs et des structures. Parfois, les interférences tournent au ridicule. Il y a un an, l'Espagnol Javier Clemente est désigné sélectionneur du Cameroun. Lothar Matthäus, ancien capitaine de la «National Mannschaft» qui faisait partie des candidats en lice a vu son dossier écarté au dernier moment par... la première dame du Cameroun (Chantal Biya). Motif : l'ex-défenseur des triples champions du monde avait commis le “crime” de s'être marié et divorcé à plusieurs reprises. La «Maman du Cameroun» a donc jugé que le profil du sélectionneur camerounais ne faisait pas bon ménage avec la vie matrimoniale «agitée» de l'ancien joueur du Bayern. Etant donné l'importance du football en Afrique, il existe bien des liens étroits entre le monde politique et le monde sportif. Prenons le cas du Zaïre. Pour vous situer, en 1974, le Zaïre était économiquement au top en Afrique : il possédait beaucoup d'argent, il sortait victorieux de la CAN, il avait une équipe de football qui se préparait à faire son entrée à la Coupe du monde et il y avait le championnat du monde de boxe, entre le légendaire Mohamed Ali et George Foreman. Mobutu exigea pourtant une «contribution» (un impôt) de tous les Zaïrois pour que les joueurs soient équipés convenablement. En 1974, nombre de Zaïrois ignoraient encore le vrai visage, brutal et corrompu du régime. Néanmoins, l'année précédente, Mobutu a décidé de privatiser le patrimoine économique en expropriant une partie importante des biens des étrangers, dont des mines de diamant. Les gens s'interrogèrent alors sur la nécessité de la contribution destinée aux footballeurs. En outre, la collecte de cette contribution tourna mal. En plus, de l'impôt destiné aux Léopards, les agents de l'Etat mobutiste se servirent dans les biens des villageois. L'équipe zaïroise sortit de la compétition en encaissant 14 buts en trois matches et sans avoir marqué un seul but. Un nombre non négligeable de Zaïrois en conclut que la cause directe de cette débâcle était la «malédiction» des vieux sages. Quand le foot annonçait la révolution Pour boucler la boucle, voyons un aspect moins classique des rapports entre foot et politique : le football comme espace de contestation du régime en place. Dans plusieurs pays, les gens veulent un avenir meilleur et n'en peuvent plus de la corruption, du népotisme et de la hogra (mépris). Le foot est leur champ d'expression contre des pouvoirs qui considèrent que les pays sont une propriété privée. Les grands mouvements de foule en Tunisie n'ont pas commencé le 17 décembre. Les affrontements entre les supporters et la police à Béja, Bizerte, Gafsa, Kasserine et dans plusieurs stades de Divison 2 ont été les répétitions des violences futures qui allaient déboucher sur l'Avenue Bourguiba et la fuite de Ben Ali. Le 15 juin 1999, un match de football tourne au drame. 19 supporters de l'OB ont perdu la vie (seuls 3 morts annoncées officiellement); piétinés, sauvagement battus par des policiers. C'était au cours de la demi-finale de la Coupe de Tunisie entre l'OB et l'EST au stade Kémiti à Béja. Douze ans après, que sait-on précisément sur cette affaire ? Rien, ou presque, sinon que l'Etat a été condamné par le Tribunal administratif pour dysfonctionnement des services de sécurité et que le gouverneur de Béja, Hassen Alaya, a été remplacé par Mohamed Belghith qui fut chargé d'étouffer l'affaire... Trois jours après le drame, le match est rejoué à Bizerte sur « ordre » de S. Chiboub. Plusieurs incidents survenus plus tard à Fahs, Makthar, Jendouba, Bizerte et ailleurs montraient que la lame de fond arrivait en force ! En novembre 2009, le match qualificatif à la Coupe du monde entre l'Algérie et l'Egypte avaient annoncé ce qui allait se passer 16 mois plus tard sur la Place Tahrir. Dans un pays de 80 millions d'habitants — où près de 40% vivent sous le seuil de pauvreté— le football constitue un formidable moyen de faire oublier les frustrations du quotidien. Mais surtout, la qualification au Mondial devait servir d'opération de communication visant à propulser Gamal Moubarak sur le devant de la scène, et de parfaire son image d'homme proche du peuple. Dans la perspective d'une annonce de la succession de Hosni Moubarak, qui en était à son cinquième mandat, au profit de son fils cadet. Gamal devait même conduire la délégation des Pharaons en cas de qualification au Mondial sud-africain. La mort du jeune Khaled Saïd sous la torture alluma la profonde colère du peuple qui allait emporter le dictateur. Dictature à la CAF Restent d'autres dictateurs comme à la CAF, l'organe dirigeant du foot africain. Son président Issa Hayatou a encore soif de pouvoir, de privilèges et de rentes. Alors qu'il «consomme» son sixième mandat (il règne depuis mars 1988), le voilà qu'il a envie de briguer un nouveau mandat, malgré la maladie et les séances de dialyse. L'âge limite pour se présenter à l'élection est de 70 ans. En 2013, il aura 67 ans... et peut rester «si les membres de la CAF le lui demandent». Hayatou nous sort un argument dont usent et abusent tous les dictateurs en Afrique : la pseudo sollicitude populaire (Al mounachada). Hier, Zine El Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak avaient utilisé le même stratagème pour rester au pouvoir (23 ans pour le premier et 32 pour le second). Ils briguaient des mandats à satiété en malmenant les constitutions. Hayatou avait, en 2004, confié à une commission animée par deux «démocrates» Slim Aloulou (Tunisie) et Fekrou Kidane (Ethiopie) le soin de remanier les statuts et nos deux « juristes » lui en avaient concocté entre autres la non-limitation des mandats! Pourtant en mai 2002, Hayatou avait inscrit dans son programme la limitation à deux le nombre des mandats ! Pendant ce temps, la Fifa qui est loin d'être un exemple de transparence, laisse faire, car l'Afrique représente un enjeu politique d'une importance capitale avec ses 53 pays membres, soit un poids réel aux élections de l'organisme mondial. Les rapports incestueux entre football et politique expliquent en grande partie ce mal jusqu'ici incurable qu'est l'opportunisme froid des dirigeants. Raison, sérieux, long terme... autant de notions bannies de leur lexique. Experts en calculs politiciens, ministères des Sports et fédéraux se préoccupent avant tout des retombées pour eux-mêmes et leurs supérieurs. L'essentiel est de sauver son poste et de préserver ses privilèges. Il suffit de consulter les CV de la plupart d'entre eux pour s'apercevoir que leur expérience en matière de football se limite le plus souvent aux matchs regardés à la télé, une bière ou un thé à la main. L'organisation relève de la capacité des individus à la mettre en place. On peut avoir des joueurs de talent, construire les plus belles installations sportives mais le football commence avec les dirigeants. Et s'il n'est pas un champ démocratique, le football n'est pas encore une priorité en Afrique quand il constitue un instrument pour distraire le peuple.