Par Soufiane Ben Farhat Le pouvoir est, entre autres, une épreuve. Il est tel pour ceux qui s'y exercent. Il y a toujours, au bout du compte, des retours de manivelle. Nul n'y échappe. Il y a des moments d'ascension, de plénitude, de gloire puis de stagnation et de récession. Interviennent alors le déclin puis la chute. En fait, cela se vérifie à l'échelle des décennies pour les partis et des siècles pour les civilisations. Mais, en périodes de révolution, le processus est beaucoup plus rapide. Parce que, précisément, révolution signifie remise en cause des normes. Aujourd'hui, sous nos cieux, l'épreuve du pouvoir est à l'œuvre. Elle a grevé les deux premiers gouvernements de Mohamed Ghannouchi au lendemain immédiat de la Révolution du 14 janvier 2011. Le premier avait duré moins d'une semaine. Le second a tenu un mois et des poussières. Le gouvernement de Béji Caïd Essebsi a encore été un peu plus heureux. Il avait duré de mars à novembre, près de neuf mois. Il avait cependant honoré son obligation de résultat initiale : tenir les élections de l'Assemblée constituante le 23 octobre 2011. Il avait même joué les prolongations. Ce fut à l'occasion de l'empêtrement, deux mois durant, de la coalition gagnante des élections dans les méandres de la formation du nouveau gouvernement. Le nouveau gouvernement ne tarda pas à se retrouver en situation de crise. Il se distingua d'emblée par certaines bourdes. En premier lieu, il y a eu les déclarations à l'emporte-pièce de certains de ses principaux ténors. Puis vint le laxisme pleinement assumé à l'endroit des groupuscules fondamentalistes radicaux. Le tout couronné par le bras de fer avec certains syndicalistes et les confrontations non déguisées avec l'enceinte médiatique et associative. Le capital sympathie et les préjugés favorables dont bénéficia le gouvernement commencèrent à se dissiper. En preste manœuvrier, Béji Caïd Essebsi choisit le moment de sa dernière adresse à l'égard de l'opinion et de la classe politique. L'initiative n'est point due au hasard. La déclaration, rendue publique le 25 janvier 2012, fut placée sous le signe de l'amer constat et de l'alternative. Quoi qu'on en dise, cette lettre est symptomatique. Elle traduit une certaine exaspération généralisée sur le blocage de la vie politique. Le constat est largement partagé, même si l'on diffère sur sa signification. Pour la Troïka au pouvoir (les partis Ennahdha, CPR et Ettakatol), ceux qui n'ont pas gagné les élections du 23 octobre seraient de mauvais perdants. Certains d'entre eux seraient, à en croire la Troïka, derrière la flambée des mouvements protestataires et des sit-in qui paralysent l'action gouvernementale. Pour le camp d'en face, c'est un autre son de cloche. La Troïka, Ennahdha en prime, s'y prendrait d'une manière maladroite et brutale. Elle serait nourrie par un esprit de revanche et de règlement de comptes. Les prédispositions à fédérer la classe politique dans son ensemble et les forces vives autour d'un projet constructif feraient défaut. En lieu et place de l'échange, nous sommes en présence d'un dialogue de sourds. Tous les éléments du système en attestent. Cela est d'autant plus évident que les partis de la Troïka eux-mêmes se chamaillent, intramuros et extramuros. On l'a bien vu avec l'attitude de certains ministres qui n'ont pas exclu de démissionner. Cela se confirme également avec les scissions et effritements significatifs que connaissent le CPR et Ettakatol. De leur côté, les partisans d'Ennahdha redoublent d'exercices contorsionnistes en vue de cacher leurs déchirures. Le dynamisme de la vie politique suppose les frictions. Mais les ruptures brutales peuvent consommer l'irréparable. Et certains observateurs se mettent à envisager les pires scénarios, telle la motion de censure à l'endroit du gouvernement ou la paralysie gouvernementale. Ici comme ailleurs, il n'est guère de certitude hormis celles de l'intervalle ouvert sur toutes les hypothèses. Et c'est tout dire.