Par Abderrahman Jerraya L'article intitulé «Malédiction de Carthage», paru dans la Presse en date du 9 février 2012, m'a interpellé à plus d'un titre. Au plan de la sémantique d'abord. Deux mots employés me paraissent inappropriés. Le mot «malédiction» laisse sous-entendre un châtiment divin et nous renvoie au triste sort qu'avait connu Carthage à la suite de sa défaite face aux Romains. Tandis que le mot «scarabée» n'en est pas moins symbolique, dans la mesure où il nous rappelle le Scarabée sacré de l'Egypte antique. L'on peut certes excuser l'ignorance de l'auteur en ce qui concerne le monde des insectes mais pas sa propension à partager une opinion, un état d'esprit plus ou moins largement répandu chez nous qu'est le fatalisme. Cela étant dit, je me permets de rappeler que le charançon rouge du palmier, originaire de l'Inde, est un insecte proche parent (mais en plus grand) du charançon du blé mis en stock, connu de nos mères et grand-mères, et appelé souss. Dans mon livre intitulé Principaux nuisibles de plantes cultivées et des denrées stockées en Afrique du Nord, paru en 2002, j'en ai parlé, estimant qu'il présentait un haut risque d'introduction et par là même qu'il constituait une menace potentielle pour nos palmeraies. A ce titre, je lui ai consacré un paragraphe donnant un aperçu aussi succinct que simplifié de son cycle biologique ainsi que des mesures tant préventives que curatives susceptibles d'être préconisées. En fait, à l'ère du village planétaire et de la mondialisation des échanges, il n'y a rien d'étonnant à ce que des organismes vivants (insectes et autres) utilisant les moyens de transport les plus divers (bateaux, avions, bagages de voyageurs, végétaux et organes de végétaux transportés...) viennent envahir nos contrées. La meilleure parade est la stricte application de la réglementation phytosanitaire en la matière. Il est vrai que du temps du régime Zaba, ce n'était pas toujours le cas. Il y avait des gens qui bénéficiant de passe-droit et pour qui tout était permis. Par-delà ce laxisme criminel dont les conséquences pourraient se faire sentir bien au-delà des palmiers de Carthage, voire ceux de l'avenue Mohamed-V, directement menacés par une éventuelle attaque, la question qui mérite d'être posée est de savoir pourquoi ces organismes exotiques qui passent souvent inaperçus dans leurs pays d'origine, font parler d'eux dans les régions nouvellement conquises. Pour y répondre, il suffit de rappeler schématiquement quelques notions d'écologie quantitative. On sait que l'énergie nécessaire à tous les êtres vivants pour se développer et se reproduire provient directement du soleil pour les végétaux chlorophylliens et indirectement pour les animaux appelés pour cette raison consommateurs. Parmi ceux-ci se rangent les phytophages, organismes se nourrissant de végétaux (plantes, feuilles, racines, tubercules, graines...) et les carnivores qui se subdivisent en carnivores I, II, rarement davantage. Car la transformation biochimique de l'énergie consommée d'un niveau trophique à un autre (de la proie au prédateur) se fait avec un mauvais rendement ne dépassant pas les 10%. A titre d'illustration on prend l'exemple d'une chaîne alimentaire simple où la souris des champs occupe un maillon central. Dans la nature, elle se nourrit principalement de végétaux les plus divers, elle-même est consommée par les serpents (carnivores I). Ceux-ci à leur tour sont la proie des rapaces (carnivores II). En plus de la contrainte bioénergétique, des mécanismes intrinsèques d'autorégulation (fécondité, vitesse de développement, longévité...) entrent en jeu pour faire en sorte qu'en termes de nombre et de biomasse, il y ait moins d'oiseaux de proie que de serpents, moins de serpents que de souris et moins de souris que de végétaux. Ce qui peut être présenté par une pyramide écologique, les végétaux étant la base et les rapaces le sommet. Il est intéressant de noter que plus on s'élève dans les échelons de cette pyramide, plus sont vulnérables les organismes qui s'y trouvent, en termes de capacité d'adaptation et, partant, de survie, face aux pressions liées aux activités humaines (mise en culture avec application fréquente de pesticides, déboisement, surpâturage, aménagement du territoire ...). La conséquence en est à la fois une érosion de la biodiversité et un déséquilibre entre consommateurs et consommés. Il en va ainsi du champ cultivé soumis régulièrement aux traitements chimiques où ne prospéreraient en grand nombre que les phytophages. C'est le paradoxe de la lutte chimique qui, en exerçant une pression non sélective sur les différents maillons de la chaîne alimentaire, a tendance à favoriser les nuisibles (les plus prolifiques) plutôt que leurs ennemis naturels. Ces derniers finissent par se raréfier, voire disparaître. Lorsqu'il s'agit d'une espèce invasive, on peut être en présence d'une situation similaire dans la mesure où ladite espèce est susceptible de se retrouver seule dans son nouveau milieu, non accompagnée de ses antagonistes naturels. C'est vraisemblablement le cas du charançon rouge du palmier qui a pu se multiplier sans entrave, à tel point qu'il a entraîné le dépérissement des malheureux palmiers. D'ailleurs, un des moyens de lutte préconisés est d'aller prospecter et identifier ses ennemis naturels dans son aire d'origine avec pour objectif celui de les introduire, de les multiplier, les acclimater et les lâcher. C'est ce qu'on appelle la lutte biologique. Mais cela est une autre question.