Par Olfa BELHASSINE Le 1er mars 2005, Maître Mohamed Abbou, actuel ministre délégué chargé de la Réforme administrative, a été arrêté pour un article qu'il venait de publier vingt quatre-heures auparavant sur le Net ! Il y condamnait l'invitation d'Ariel Sharon, ancien Premier ministre israélien, au Sommet mondial de la société de l'information (SMSI) organisé à Tunis en novembre 2005 et dénonçait dans la foulée la corruption généralisée au sein de la famille de l'ex-président. Pour le régime de Ben Ali et ses sinistres conseillers, c'était là la goutte d'eau qui fit déborder le vase. L'avocat avait, quelques mois auparavant, comparé, dans un article paru sur le site Tunisnews, la torture infligée aux prisonniers tunisiens aux exactions commises par les soldats américains dans la prison d'Abou Ghrib en Irak. Il fut condamné selon l'article 121 du Code pénal à trois ans et demi de prison pour ses déclarations «susceptibles de troubler l'ordre public». Le directeur du journal Attounissia, Nasreddine Ben Saida, a été arrêté et jeté en prison depuis mercredi dernier en référence à ce fameux article 121. Même si les raisons de l'incarcération des deux hommes diffèrent, l'un pour ses opinions politiques, l'autre pour sa responsabilité dans la publication de la photo dénudée d'un mannequin allemand, et que les deux affaires se soient déroulées la première avant le 14 janvier et la seconde une année après le départ de Ben Ali, nous ne pouvons que relever de troublantes similitudes dans le développement des procédures judiciaires. La même précipitation imprègne la réaction du parquet. Et toujours cette profonde impression que la gravité des sanctions dépasse de loin celle des faits. D'autant plus que l'on ne jette pas un journaliste en prison dans les pays vivant une phase de transition démocratique ! On ne jette pas un journaliste en prison lorsque grâce à la Révolution, un nouveau code de la presse est né, nettement plus respectueux de la dignité et de la liberté des journalistes que celui mis en place par l'ex-dictateur. Lourde est la symbolique de cet acte ! D'autre part, pourquoi a-t-on fait primer ici le Code pénal régissant les infractions d'une manière générale sur la loi spéciale, qui s'applique sur le cas d'espèce, à savoir le nouveau Code de la presse ? Mauvaise foi ? Dérive autoritaire ? Ambition de remettre en question le pouvoir d'une profession ? L'affaire Ben Saida intervient dans un climat d'agressions et d'attaques multiples contre les journalistes. Encore une fois ils incarneraient, y compris dans les discours politiques, tout ce qui ne va pas dans le pays. Une étrange langueur est-elle en train de gagner les hommes et les femmes politiques tunisiens, hier militants des droits de l'Homme? Pourquoi donc tous ceux qui ont souffert des machinations politico-administratives de l'ancien régime restent-ils passifs devant l'emprisonnement du directeur d'Attounissia ? A tous ceux-là, nous répéterons la formule scandée par le peuple de Syrie pendant l'un de ses premiers vendredis de la colère : «Votre silence nous tue» !