On est mardi 27 mars, 14h30. D'un pas lent, les musiciens gagnent la scène... La salle est tristement vide. A peine cinq ou six journalistes. «Pourtant, nous avons invité, à cette conférence de presse, tous les médias, télévisions, radios, presse écrite...», précise Hamadi Ben Yahia, un des membres fondateurs de la troupe «Imazighen». La déception est immense. On voulait annoncer, en fanfare, le retour de ce groupe à la maison de la culture Ibn-Rachiq, là même où elle est née dans les années 1970. C'est dans ce sens que les journalistes étaient invités à une séance de répétition avant le concert prévu pour ce samedi 31 mars. Après une attente interminable, deux jeunes chanteuses prennent, place devant les micros, enfin, l'air timide et inquiet. «N'ayez pas peur. Soyez-naturelles. Ce ne sont que des amis», rassure d'une voix tendre Ben Yahia, qui, lui aussi, a du mal à cacher son embarras. Heureusement, on bat la mesure. Les nerfs se relâchent. Emporté par le rythme, on oublie les absents ... Les voix se déchaînent, fortes et vibrantes, soutenues par la percussion, le luth et le nay. Les «Imazighen» chantent, depuis leur création, à la manière des «ghannéya». «Un style musical populaire qui existait partout sur le territoire tunisien, du nord au sud», observe Hamadi Ben Yahia. La troupe a toujours dénoncé la pauvreté, le chômage, la misère, l'injustice, l'oppression... et plaide pour la démocratie et la liberté... «Nous sommes nés à la Médina de Tunis. Nous étions un groupe engagé qui évoluait sur une scène artistique en effervescence, à l'époque. Avec «Ouled Bou Makhlouf» du Kef, «Ouled El Manajem» de Oum Laâraïs (Gafsa), «El Bahth El Moussiqi» de Gabès et d'autres noms et groupes... nous luttions, en musique... C'était la belle époque», évoque encore Ben Yahia. Avec beaucoup d'émotion, ce chanteur a rendu hommage à feu Hamadi Laâjimi, un des fondateurs de la troupe. A ses débuts, la troupe «Imazighen» comptait neuf membres. Aujourd'hui, trois seulement se retrouvent : Yahia Essabri et Lotfi et Hamadi Ben Yahia. Avec le sourire, ce dernier affirme : «Nous avons fait naître beaucoup d'Imazirine (jeunes libres) et ça va continuer». Le nouveau souffle En effet, la troupe a accueilli de nouveaux jeunes musiciens et chanteurs. Confiants et audacieux, ils ont, eux aussi, leur mot à dire. Selon la nouvelle génération, cette musique est avant tout un chant de l'âme et du cœur; un chant plein d'amour et de passion... «Je n'ai réussi à chanter que lorsque j'ai pu plonger au plus profond de moi-même. J'ai prospecté dans ma mémoire et dans mes pulsations les plus intimes... C'est ainsi que ma voix a surgi d'une manière quasi inconsciente», précise l'une des jeunes chanteuses, Dhouha Touhli. La recherche est aussi la devise «Imazighen» junior. On parle de «métissage», d'«harmonie», de «bédouin», de «relents marocains»... On insiste sur la liberté créative et sur l'émancipation du texte... C'est avec beaucoup de fierté et d'enthousiasme que ces jeunes, tout comme les moins jeunes, ont présenté le programme du concert de samedi prochain. A commencer par Tunis, la belle, un texte de Aboukacem Chebbi, «composé dans les caves de cette maison de la culture Ibn-Rachiq en 1982», précise Hamadi Ben Yahia. On ravivera d'anciens tubes comme Hadha k'lami ou encore N'harou illi Saâdou, ainsi que de nouvelles compositions. «Nous comptons aussi préparer deux chansons purement berbères», révèle Ben Yahia. Après la révolution, il n'y aura plus de police pour guetter les «fausses notes» politiques, mais aujourd'hui, et plus que jamais, le danger est encore là. La situation est même plus périlleuse que par le passé. Seulement, pour les «Amazirine» qui veut dire, en berbère, «des êtres humains libres», il faut tenir et défendre leur droit de rester libres de chanter, libres de penser, libres de vivre dans «la belle Tunisie», celle de Aboulkacem Chebbi... «On ne baissera pas les bars. La lutte continuera», promettent encore les Imazighen.