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Kheïreddine, ou la droiture en legs
Figures et concepts
Publié dans La Presse de Tunisie le 13 - 04 - 2012

Durant l'été de l'année 1877, un bateau mouille au port de La Goulette et s'apprête à appareiller pour Istanbul, la capitale de l'empire ottoman. A son bord se trouve un personnage pas comme les autres : il a entre la cinquantaine et la soixantaine et il jette ses derniers regards du côté du continent, en direction de la ville de Tunis que la chaleur du jour cache sous un voile de lumière pâle... Tout d'un coup, des souvenirs affluent. Il se revoit, tout jeune homme, posant son premier pas sur cette même terre. Il avait à peine 17 ans et il se retrouvait là, contre son gré sans doute, puisque c'est en esclave qu'il avait débarqué : quelques semaines auparavant, il avait été acquis à prix d'argent pour le compte du bey de Tunis, dont c'était l'usage, pour ainsi dire, de s'approvisionner en mamelouks en traversant la Méditerranée... Lui, le jeune natif du Caucase, dont la fortune et la guerre ont voulu qu'il soit séparé de sa famille et réduit au rang de marchandise, il découvrait l'Afrique et ses paysages, où il allait connaître un destin exceptionnel.
Mais le voilà, ce jour-là, qui faisait le chemin en sens inverse en direction du pays d'où il était venu. Cette terre de Tunisie ne l'avait-elle pas adopté ? Pourquoi ce voyage ? Oui, parvenu en Turquie, il occupera les plus hautes fonctions : il sera même grand vizir, sous le règne du sultan Abdulhamid II. Est-ce donc la recherche de la gloire qui le motive ? Non, pas exactement : Khayr Eddine Ettounsi, puisque c'est de lui qu'il s'agit, n'a jamais couru derrière cette chose qu'on appelle la gloire... Lui qui n'est pas né sur cette terre de Tunisie, peu d'hommes l'ont servie comme il l'a fait, en y mettant tout leur talent et toute leur sagacité, toute leur droiture aussi quand il s'agissait de faire face à l'autorité du Bey, et sans rien demander en contrepartie sinon le plaisir du mérite éprouvé d'avoir bien fait. Du reste, le poste de grand vizir, il l'occupera à Tunis même, en 1873.
La triple raison d'un projet
Non, ce qui pousse Khayr Eddine au voyage en cet été 1877, c'est le fait qu'il vient d'être congédié par le Bey... Un bey qui fut pourtant un partenaire dans la mise en place de plusieurs réformes... Et ces réformes sont d'une grande importance : ce sont les premières à travers lesquelles la Tunisie entame sa modernisation. Elles visent à assainir la gestion de l'administration, surtout après l'épisode dramatique du vizirat de Mustapha Khaznadar, qui fut marqué du sceau de la misère et de la famine, des insurrections dans l'intérieur du pays et du détournement des deniers publics. Elles visent aussi à doter le pays d'une capacité de former des élites qui soient capables d'assurer la poursuite de cette modernisation dans la durée. D'où la création de l'école Sadiki et, avec elle, d'une bibliothèque... D'où l'introduction de disciplines à caractère plus scientifique dans l'enseignement présenté par la Zitouna à ses étudiants. Tout cela s'est passé durant les quatre années qui précèdent... Khayr Eddine avait de l'action qu'il entreprenait une vision très globale, puisque pendant la dizaine d'années qui avait précédé son accession au poste de grand vizir, il avait rédigé son œuvre maîtresse, dans laquelle il réfléchissait sur les causes du retard des pays arabo-musulmans par rapport aux pays européens, et à la France en particulier. C'est son fameux « Le plus sûr moyen pour connaître l'état des nations ». Un texte nourri de ses connaissances acquises et de ses nombreux voyages autant que de la rigueur de la formation qu'il a reçue dans sa jeunesse, à l'école militaire... Mais, surtout, un texte qui porte en lui un projet pour la Tunisie. C'est que ce pays avait plusieurs raisons de se donner un autre destin : son émancipation à l'égard de l'empire ottoman n'était pas totale et, à cette époque, la puissance française servait de bouclier contre les velléités ottomanes à reprendre le contrôle total sur les affaires. Mais la France elle-même, qui s'était invitée en tant que voisin en annexant l'Algérie à son territoire dès 1830, était crainte aussi. Qu'est-ce qui l'empêchait d'étendre sa domination, dès lors que l'empire ottoman faiblirait ? A l'intérieur, la population était livrée à son sort : le pouvoir n'y voyait qu'un moyen de prélever des taxes. En 1864, cela donne lieu à une insurrection qui met en péril le pouvoir : c'est la révolte d'Ali Ben Ghedahem qui rassemble les habitants du Sahel et les tribus de l'intérieur... A cette époque, Khayr Eddine a la quarantaine : il est ministre de la Marine et ses missions à l'étranger lui ont largement permis de voir de quelles façons très différentes il est possible à un pouvoir politique d'asseoir ses relations avec le peuple, dans le sens d'une plus grande considération et, dans le même temps, d'un plus grand profit réciproque sur le plan économique. Enfin, la vie intellectuelle, qui est le cœur battant de toute modernité, était asphyxiée par les ulémas, eux-mêmes empêtrés dans des connaissances inutiles et anachroniques, pendant que l'Europe réalisait des pas de géant dans les sciences...
Devoir d'outrecuidance
C'est toute cette réalité qu'il s'agit pour lui de changer. Or, de son point de vue, cette transformation n'est pas seulement d'ordre technique... Khayr Eddine saisit que rien n'est vraiment possible tant que les gouvernants ne se mettent pas en position de servir le peuple et de compatir à ses souffrances... Le peuple peut supporter beaucoup et traverser les épreuves, mais il a besoin de sentir que les gouvernants l'accompagnent dans l'épreuve. Si ce n'est pas le cas, c'est qu'une forme de mépris s'est logée au cœur de la relation entre le gouvernant et ses sujets, et alors tout l'artifice des réformes est vain.
Du pont du bateau, l'homme regarde maintenant s'éloigner la délégation officielle, venue l'accompagner... Il distingue les silhouettes : certaines sont celles d'amis sincères, d'autres non, celle de professionnels du protocole, de spécialistes de l'hypocrisie politique et de l'intrigue dans les coulisses... Il sait à ce moment, de façon nette, qu'il a eu des ennemis qui ont manœuvré contre lui. Bien sûr, Mustapha Ben Ismaïl, rival auprès du Bey, en est le principal mais ce n'est pas le seul. Toutefois, sa décision de partir, il l'a longuement mûrie : il sait qu'en réalité elle s'est imposée à lui au moment précis où il a compris... Il a compris que le Bey, malgré ses bonnes dispositions affichées pour les réformes, n'est pas l'homme de la situation et que, par conséquent, sa présence dans ce pays, lui Khayr Eddine, ne pourrait plus avoir d'autre vocation que de le combattre, à visage couvert ou découvert. Or cela, son passé et sa nature, qui ont forgé son sens de la loyauté, font qu'il ne peut s'y résoudre, à supposer même que ce soit envisageable... Oui, c'est vrai, les circonstances n'ont pas été favorables : il y a eu coup sur coup cette guerre des Ottomans contre la Russie, qui a obligé à apporter une aide matérielle à Istanbul, puis cette maudite sécheresse, la dernière, qui a mis le pays à genoux. Mais, en réalité, il s'agissait d'un signe du destin, d'une occasion providentielle qui permettait de tenter le miracle : et si ça marchait ?! Et si le Bey acceptait de goûter lui-même et sa famille aux souffrances des privations auxquelles était livré le peuple aux quatre coins du pays ! Le lui demander sortait du cadre de tous les usages, et passerait assurément pour de l'outrecuidance : mais le jeu en valait plus que largement la chandelle ! Face à l'occasion offerte d'un pacte de solidarité et de compassion, qui serait la véritable clé de tout changement, il n'avait pas le droit de reculer... La suite, c'est qu'il se trouvait sur ce bateau, sous le soleil brûlant de l'été, et que dans une heure, deux heures, cette terre de Tunisie qu'il a tant chérie et pour laquelle il a tant donné de lui-même ne serait plus qu'un fil à l'horizon... Mais il ne regrettait rien, et avait raison de ne rien regretter : il a laissé en héritage l'exigence de cette outrecuidance salutaire, sans laquelle rien n'est possible dans le destin d'une nation. C'est cette exigence qui, à travers la nuit coloniale et, plus tard, l'épreuve de la dictature, fera que le pays, chaque fois, retrouvera le souffle de sa bonne étoile.


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