Nul doute que l'émergence d'une place financière à Tunis dessinera une nouvelle architecture du paysage économique et financier tunisien et contribuera à relancer et entretenir une dynamique de croissance. Sa création ne sera pas facile et ne se fera pas d'un seul trait. Elle soulèvera de grands défis avant d'avoir la chance de s'imposer comme telle. Ce sont précisément ces défis, liés à la qualité des marchés, au rôle des acteurs de ces marchés, au cadre institutionnel, réglementaire et législatif, ainsi qu'aux compétences qui ont fait l'objet du 12e du forum international de l'Economiste Maghrébin ayant pour thème « Tunis, place financière régionale, les voies d'avenir de la finance et des banques tunisiennes dans l'Euromed". Ce forum a, par ailleurs, été l'occasion de mettre l'accent sur l'enjeu de la convertibilité totale du dinar tunisien et de la libéralisation de la politique de change en vue de favoriser une libre circulation des capitaux avec le reste du monde et d'accroître ses chances d'accès à de nouvelles sources de financement. «Des avancées importantes ont été réalisées dans plusieurs domaine : l'amélioration de la performance et la gestion du risque dans le secteur financier, le développement du capital investissement et des fonds de place réglementés, ainsi que le développement de la profondeur et de la liquidité de la Bourse de Tunis et du secteur de la microfinance en Tunisie», a souligné M.Adrianus Koetsenruijter, chef de la Délégation de l'Union européenne en Tunisie, qui a passé en revue les réformes engagées par la Tunisie afin d'améliorer la contribution du secteur bancaire au financement de l'investissement et de la croissance, rappelant les grands axes du programme d'appui à l'intégration économique dont le coût s'élève à environ 70 millions d'euros. Une plus grande intégration financière avec l'Union européenne permettra, selon lui, de démultiplier les gains de l'accès au marché unique communautaire et de l'intégration économique régionale. Il va s'en dire que les objectifs de libéralisation du compte capital et de la pleine convertibilité du dinar que le gouvernement s'est fixé pour 2014 vont dans ce sens. La Tunisie pourra devenir un pôle régional de services financiers qui contribuera à drainer les investissements et à renforcer l'efficacité de son économie dans son environnement international. Une structure coopérative Quelles sont les conditions relatives aux différents acteurs de marché qui sont nécessaires pour l'émergence d'une place financière en Tunisie? M. Jean-François Pons, délégué aux Affaires européennes et internationales pense que ces dernières dépendent de l'existence de 5 facteurs : des acteurs importants et nombreux du côté de la demande de financement, des investisseurs importants, des intermédiaires qualifiés et actifs, des règles et surveillance adéquates et des infrastructures performantes. L'expérience de plusieurs pays a montré l'intérêt de regrouper l'ensemble des acteurs du marché (banques, assurances, entreprises non financières, Bourse, agents de change) dans une structure coopérative. Cette dernière doit permettre de réfléchir à toutes les mesures susceptibles d'améliorer l'attractivité de la place financière, de mettre en œuvre les mesures n'impliquant que les acteurs privés, de proposer aux pouvoirs publics les mesures de leur compétence et de promouvoir la place, sur le plan national, mais encore plus sur le plan international. Conforter le cadre monétaire Analysant les forces et faiblesses de la place de Tunis à s'ériger en place financière régionale, M.Koceila Maames, responsable marchés de capitaux pour l'Afrique du Nord au Crédit Agricole a abordé les pré-requis pour l'émergence d'une place financière régionale et d'une feuille de route pour une réforme financière incontournable. D'après lui, la Tunisie continue à afficher une dynamique de crédit tout à fait favorable, avec des notations souveraines parmi les plus élevées de la région. En termes de Flux d'Investissements Directs Etrangers, la Tunisie demeure également parmi les pays les plus attractifs de la région en termes de diversification sectorielle et géographique des flux. Malgré ses bonnes performances, le marché boursier demeure encore assez peu développé, comparativement à ses pairs régionaux. Il a, dans ce sens articulé ses préconisations autour de 4 axes. D'abord consolider le cadre monétaire, en confortant l'autonomie de la Banque Centrale et accorder davantage de priorité à la stabilité des prix, en renforçant la crédibilité des autorités monétaires en tenant régulièrement des comités de politique monétaire, accompagnés de communiqués et en réformant le secteur bancaire pour améliorer l'efficience et la transmission de la politique monétaire. Ensuite, réduire davantage les déficits et la vulnérabilité aux chocs exogènes en poursuivant la consolidation des comptes publiques, en réduisant les déséquilibres externes et en assurant une croissance moins dépendante de la pluviométrie et des sources de revenus en devises plus diversifiées. Aussi, veiller à une libéralisation bien séquencée de la balance des capitaux pour éviter les phénomènes d'accumulation de « Hot money» et prévenir les risques de fuites de capitaux. Enfin, ajuster graduellement le taux de change, lorsque le timing est approprié pour atteindre, autant que possible, un niveau d'équilibre «soutenable». Des fondamentaux solides Pour Dhafer Saidane de la Skema Business School, l'idée est séduisante. Elle est aussi réaliste et réalisable à condition de respecter certains préalables. Faire de Tunis une place financière suppose, cependant, des préalables institutionnels (libéralisation, gouvernance, stabilité, transparence), fonctionnels (R&D en finance, formation, innovation, prospective, réflexion stratégique) et une vision large et pas seulement une concentration de salles de marché et d'ordinateurs pour boucler des opérations trading. D'après un représentant du Global Finance Center, la Tunisie dispose de plusieurs atouts pour devenir une place financière régionale. Les notations en amélioration constante le confirment : un cadre macro-économique stable, une libéralisation progressive du compte de capital et du taux de change, un environnement réglementaire encourageant, un renforcement des banques tunisiennes et le « statut avancé » de partenariat avec l'UE. D'après les débats et les interventions ayant rythmé cette rencontre, il est évident que les préalables et les composantes essentielles d'une place financière régionale paraissent réunis en Tunisie même si beaucoup de réformes restent à faire comme l'ont souligné certains intervenants. Nos prétentions en la matière sont aujourd'hui fondées car les fondamentaux de l'économie tunisienne n'ont jamais été aussi convaincants, comme on a pu le mesurer à l'aune de sa capacité à résister au plus grand choc extérieur de ces 50 dernières années.