Malgré les discours en trompe-l'œil, la crise fait toujours des ravages. Le langage soft, adopté depuis peu, ne trompe guère son monde. Le naufrage grec ainsi que les difficultés rencontrées par des pays comme le Portugal, l'Irlande, l'Espagne ou l'Italie agitent de bien sinistres spectres. On apprend ainsi que le taux de chômage des Vingt-Sept est de 9,6%. Il atteint un niveau record depuis plus de dix ans. Témoin, le rapport d' Eurostat publié le 30 avril. Il dit bien que 23 millions d'Européens pâtissent du chômage. Le développement inégal frappe au cœur de l'Europe. Ainsi, des pays comme les Pays-Bas ou l'Autriche n'enregistrent-ils que des taux respectifs de chômage de 4,1% et 4,9%. A l'autre bout, la Lituanie et l'Espagn enregistrent des taux de chômage de 22,3 et 19,1%. Même l'Espagne, il y a si peu, témoin de la régénérescence européenne, semble en passe de sombrer. L'Italie s'enfonce au fil des jours. Le Portugal et l'Irlande sont dans le starting-block des loosers. L'Union européenne s'en soucie comme d'une guigne. Tout au plus insiste-t-elle sur l'adoption de plans d'austérité très mal perçus par la grande masse. Tel est le cas des Grecs, sacrifiés sur l'autel de l'harmonie européenne sublimée. Un journal grec a estimé avant-hier que le gouvernement a expliqué en fait au peuple grec comment mourir pour survivre. A l'entendre, les remèdes préconisés sont encore "plus néfastes que la maladie". Pour d'autres éditorialistes, l'issue de crise concoctée par les experts européens et du FMI se réduit en un seul mot: l'austérité. Et celle-ci débouchera sur une "asphyxie" de la population grecque au nom d'une "modernisation violente" de l'économie. Ailleurs, on n'est guère mieux loti. La crise frappe indistinctement et les contribuables en font les frais. Le seul pays qui en réchappe est l'Allemagne avec un taux de chômage à 7,3%, soit une baisse de 0,1%. Ladite baisse est à l'actif du gouvernement allemand "qui verse des subventions aux entreprises qui réduisent le temps de travail de leurs employés plutôt que de les licencier". Aux Etats-Unis d'Amérique, c'est bien pire. On y parle même de "reprise sans emploi". Cela signifie que les bénéfices reprendraient alors que les gens continueraient de patauger dans le chômage. En d'autres termes, les spéculations — à l'origine de la crise américaine puis mondiale — vont reprendre leur train-train au mépris de la condition humaine déjà déplorable. Chassez le naturel, il revient au galop. L'économie mondiale capitaliste outrancièrement mondialisée fait fi de la vie des hommes. La machine doit fonctionner. Elle est impersonnelle, vorace, les hommes en sont l'huile et le rouage. La mondialisation est en premier lieu celle des crises et des indispensables traitements de choc immanents à la crise. A-t-il fallu qu'un nuage de cendres émane quelque part en Islande pour que la paralyse frappe de plein fouet l'Europe et une partie du monde, cinq jours durant. Avec, en sus, une facture bien salée et des pertes sèches qu'il faudrait des années pour résorber. La crise, comme toute épreuve, devrait au moins avoir un effet salvateur. Du moins au niveau des leçons qu'il faudrait en tirer. Autrement, il faudrait se préparer aux pires issues. Comme Marc Bernard qui s'est installé, en 1939 avec sa femme, en pleine campagne, faisant le feu de bois, en plein air. "Puisque le monde allait vers une ère primitive, confie-t-il à l'un de ses amis, nous prenions les devants" (cité par Michel Grenier, Instantanés). L'effet anesthésiant de l'habitude — savamment orchestré à l'endroit des cœurs tièdes — est pervers. Il agit dans tous les sens. Et frappe par moments ceux qui s'échinent à en faire un fonds de commerce. C'est dire si on est sorti de l'auberge…