De notre envoyé spécial à Oslo Salem TRABELSI Hier, dans la matinée, les rues d'Oslo étaient noires de monde. Malgré la pluie et le froid, des milliers de manifestants sont descendus dans la rue pour répondre à celui qui défraie la chronique depuis plus d'une semaine au pays des fjords. Les rues calmes et très propres de la capitale la plus chère au monde, située dans l'un des pays les plus riches au monde et dont les citoyens n'ont pas le culte des signes extérieurs de richesse, se sont transformées en tribune contre celui qui prêche le discours de la haine. C'est que les Norvégiens sont en train de suivre au jour le jour les déclarations de Anders Behrings Breivik, l'extrémiste de droite jugé depuis le 16 avril pour le meurtre de 8 personnes à Oslo dans un attentat à la voiture piégée, et de 69 jeunes gens dans un camp d'été sur l'île d'Utoya le 22 juillet 2011. Et lorsque ce dernier a déclaré avant-hier qu'il considérait la chanson «Children of the Rainbow», de Lillebjoern Nilsen (célèbre en Norvège parce qu'elle symbolise la diversité), comme un lavage de cerveau pour les enfants, ils sont descendus dans la rue pour scander en chœur les vers de cette chanson. Et cette diversité de races et de couleurs qui taraudait l'assassin, on la voyait hier à Oslo. Il y avait des Norvégiens mais aussi les autres communautés qui partageaient leur quotidien. Quelles sont les communautés les plus répandues en Norvège? Les Pakistanais, les Irakiens, les Marocains, les Asiatiques et les Somaliens. Cette dernière communauté prouve d'ailleurs que la Norvège est un bon élève de l'ONU. Et les Tunisiens ? Juste une petite communauté de 1.500 personnes, la plupart des hommes mariés à des Norvégiennes. Mais il y a aussi des Tunisiennes mariées à des Norvégiens. Le profil de la grande famille tuniso-tunisienne n'est pas très répandu dans ces contrées lointaines ! Cela dit, notre communauté est bien intégrée somme toute. Des Tunisiens se souviennent En Norvège, les Tunisiens se souviennent de leur premier «ouf!» de soulagement poussé lorsque les autorités norvégiennes ont dévoilé l'identité du tueur d'Oslo. Le tueur était blond, le tueur s'appelle Anders Behring Breivik, le tueur est un islamophobe qui s'attaquait aux valeurs multiculturalistes du Parti travailliste norvégien. Et ils se souviennent bien (comme toutes les autres communautés étrangères et stigmatisées après l'explosion) de ces mauvais quarts d'heure passés à être regardés de travers, surtout ceux d'entre eux qui conduisent des taxis «De mon bureau j'ai entendu l'explosion ce jour-là et j'ai craint le pire..., dit Naceur, il y avait des regards soupçonneux envers notre communauté, on s'est senti très mal à l'aise pendant plusieurs semaines. Heureusement que le gouvernement norvégien n'a pas tiré de conclusions hâtives en nous pointant du doigt avant la fin de l'enquête. En tout cas, on était vraiment soulagé lorsque la communauté arabe a été lavée de tout soupçon!». Pour sa part, Arnaud, restaurateur français vivant en Norvège, renchérit «On commençait même à entendre des plaisanteries désobligeantes du genre :dans un quartier d'immigrés il n'y a pas de risque qu'une bombe explose ! Et voici que le tueur se révèle être norvégien au grand dam de ce peuple connu pour sa zénitude et son respect pour tout ce qui est humain ! Et je peux vous assurer que les Norvégiens en sont malades !» Breivik trop gâté Presque neuf mois après la tragédie et les soupçons orientés vers la communauté arabe, où en sont les choses ? Le procès de Breivik a démarré depuis neuf jours. A Oslo, on ne parle que de ce procès «du siècle». Journaux, télévision, certes, mais aussi dans les conversations feutrées des salons norvégiens. Svend Bolstad, l'un des grands distributeurs de cinéma en Norvège, nous confie: «A chaque fois qu'on évoque ce sujet, je me sens vraiment mal à l'aise, cela n'aurait pas dû arriver chez nous». Le distributeur a du mal à cacher son malaise. «En plus, il y a cette médiatisation télévisée du procès que je trouve dangereuse parce que exagérée, poursuit Svend, c'est un support médiatique sur lequel Breivik va s'appuyer pour faire la propagande de son discours. Et c'est un discours qui malheureusement risque de trouver de l'écho chez certains jeunes d'ici ou d'ailleurs ... ». Kristian Fiquet, propriétaire de plusieurs salons de coiffure, est fou de rage contre la manière dont on traite le tueur d'Oslo «C'est quelqu'un qui vit dans un hôtel et pas dans une prison, dit-il, il ne peut pas se sentir coupable, ça ne peut que l'encourager à développer son discours de haine». C'est aussi cet avis qui est partagé par certains Tunisiens vivant en Norvège. Ils ont en effet ce sentiment que Breivik a eu des conditions de détention vraiment très confortables où il peut obtenir ce qu'il veut, et une surmédiatisation qui est en train de faire de lui un héros. D'autres ne cachent pas non plus leur satisfaction vis-à-vis de cette affaire de terroriste «blond», car, semble-t-il, cela leur a attiré beaucoup de sympathie. Hasard de l'agenda ou intention des organisateurs : le procès de celui qui lutte contre les idéaux multiculturalistes a coïncidé avec le festival des films arabes à Oslo où des réalisateurs tunisiens, syriens et marocains ont été invités à projeter et à discuter leurs films avec le public norvégien. Un public qui est venu en masse comme pour soutenir la diversité culturelle si odieuse à Breivik.