Après une année de travail, l'Inric a rendu public, hier matin, son rapport final. Un état des lieux des médias tunisiens en 368 pages, dix chapitres et plus de cinquante recommandations... Au palais des congrès, la présence massive et solidaire des professionnels, des universitaires, des juristes et des membres de la société civile renseigne autant sur la portée décisive de l'événement que sur les appréhensions quant au destin improbable du document... Dans un contexte profondément marqué par une rupture entre les médias et le gouvernement. «La consultation nationale autour de la réforme de l'information lancée vendredi par le gouvernement devait poursuivre ses travaux, cette semaine, en l'absence des professionnels du secteur et en présence de quelques figures médiatiques connues pour leur allégeance à l'ancien régime...». C'est avec ce constat général et sur ce fond de rupture entre les médias et le gouvernement que l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication (Inric) a présenté hier son rapport final. Ben Achour appelle au consensus A la tribune, il y avait le président et les membres de l'Inric au complet, mais aussi la présence symbolique de cet invité d'honneur qui lancera le message politique de la matinée. Yadh Ben Achour, ex-président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, a clairement joué le médiateur en soutenant le travail de l'Inric et en appelant à un consensus entre l'instance et le gouvernement. «La consultation organisée par le gouvernement devrait s'ouvrir aux professionnels et aux experts qui ont contribué à ce rapport. L'état des médias et les réformes envisagées requièrent une démarche participative consensuelle où tous devraient travailler main dans la main. Les nouveaux textes, objets de discorde, pourraient certainement être améliorés mais seulement dans la condition de garantir plus de libertés, plus d'indépendance et plus d'objectivité aux médias...» Au retour d'une rencontre matinale avec Hamadi Jebali, chef du gouvernement, auquel il a soumis le rapport, Kamel Laâbidi, président de l'instance, n'a pas non plus manqué de s'exprimer autour de ce que les gens du secteur considèrent de plus en plus comme une volonté manifeste du gouvernement de marginaliser le travail de l'Inric et de passer outre les aspirations à l'indépendance nourries par la majorité des professionnels. «L'espoir de l'instance est de voir son rapport sérieusement examiné par toutes les parties appelées à travailler sur la réforme du secteur et prêtes à ouvrir une nouvelle page au titre de la liberté et de l'émancipation de toute tutelle». Diagnostics sans appel et fermes recommandations Kamel Laâbidi dût rappeler les conditions de dérapage médiatique, de rumeurs et de règlements de comptes politiques dans lesquelles l'Inric a été créée en mars 2011. Instance indépendante et consultative, elle a été chargée d'établir l'état des lieux et de réfléchir sur les moyens d'élever le discours médiatique au niveau des objectifs de la révolution et du droit des citoyens à une information libre et de qualité. Présentant les grandes lignes du rapport, le président de l'Inric mettra surtout le doigt sur «la démarche participative et largement consultative qui a initié les différentes étapes de son élaboration». Démarche tout aussi nourrie des standards internationaux et des expériences des plus vieilles démocraties et des pays qui, comme l'Europe de l'Est et l'Afrique du Sud, ont réussi leur transition démocratique via la liberté de la presse. Lourdeur de l'héritage de la subordination des médias, faiblesse du rendement, manque de professionnalisme, absence de cadre juridique favorable à la liberté d'expression... Face à une somme de diagnostics sans appel, le rapport de l'Inric propose plus de cinquante recommandations autour d'une dizaine de thématiques : le cadre juridique, la presse écrite et électronique, le journalisme d'agence, le paysage audiovisuel public et privé, l'information régionale, la communication gouvernementale, la publicité, la formation, les structures publiques et les organisations professionnelles, le monitoring des médias. Peut-il pour autant être exhaustif ? «Tout ce que comporte le rapport, ce sont des données précises et actualisées, note Kamel Laâbidi, en dépit des difficultés qu'a rencontrées l'instance à obtenir les informations concernant le financement des organismes». Constitutionnaliser la liberté de la presse Attendue avec beaucoup d'intérêt et d'impatience de la part des professionnels, la présentation du rapport de l'Inric aurait peut-être eu un retentissement différent, dans un contexte autre. Mais autant sur les interventions des membres de l'Instance que sur les questions des journalistes, une seule et même appréhension pesait : quel sera le destin de ce rapport indépendant s'il n'est pas accueilli par une volonté politique de garantir l'indépendance des médias et de reconnaître aux journalistes le droit de mener eux-mêmes la réforme et au secteur le pouvoir de s'autoréguler ? Comment sera-t-il apprécié par une Assemblée constituante souveraine si elle ne reconnaît pas aux médias leur statut de contre-pouvoir ? S'il n'y a pas de réponse claire à ce stade, il y a des indicateurs qui portent à rester vigilants et bien des interrogations, notamment sur l'avenir des médias publics et du nouveau cadre juridique. Interrogations auxquelles le rapport répond par une somme de recommandations, dont la première appelle à constitutionaliser la liberté de la presse.