Surprenante, prise d'une manière unilatérale sans consulter aucune partie parmi les associations spécialisées, une véritable mesure d'exclusion injuste : les qualificatifs ne manquaient pas, hier, concernant la décision prise, samedi dernier, par le ministre de la Justice révoquant 81 magistrats «sans fournir des détails concernant leurs identités, ni les dépassements et les actes incriminés». Aussi bien l'Association des magistrats tunisiens (AMT) que le Syndicat des magistrats tunisiens (SMT) ont fait part de leur refus de cette procédure de révocation qui «entrave l'ouverture des dossiers de corruption et ne permet pas à ceux qui ont été révoqués de se défendre». La Presse a sondé certains juristes et magistrats pour connaître leurs réactions vis-à-vis de la décision de Noureddine B'hiri qui sera suivie «d'une autre liste dans les semaines à venir», comme l'a laissé entendre le communiqué du ministère de la Justice. Témoignage. Boubaker Souguir (membre du Syndicat des magistrats tunisiens) : Une indemnisation de six salaires pour toute une carrière «Le syndicat a toujours demandé l'ouverture des dossiers de la corruption à condition que les magistrats présumés coupables de corruption aient droit à un jugement équitable conformément aux normes internationales. La révocation est prévue dans la loi de 1967, en dehors des sanctions disciplinaires. Le législateur ne définit pas la faute sur la base de laquelle la décision de révocation est prise. Une fois révoqué, le magistrat en question a droit à une indemnisation ne pouvant dépasser six mois de salaires, quel que soit le nombre d'années qu'il a passées dans ses fonctions de magistrat. De plus, les magistrats incriminés ne peuvent pas s'inscrire au barreau, à l'instar des magistrats démissionnaires ou partis à la retraite. Nous considérons que cette décision prise par le ministre de la Justice sans consulter de quiconque met tout le monde dans le même sac. Personne ne sait pour le moment pourquoi ils ont été révoqués, ni les fautes dont ils sont accusés et qui pourraient être des fautes professionnelles ne méritant pas plus que le passage devant le conseil de discipline». Lazhar Akremi (juriste et membre du groupe de travail relatif à l'initiative de Béji Caïd Essebsi) : Une décision à annuler à tout prix «Je ne m'attendais pas à ce que l'on puisse arriver dans la Tunisie moderne à un stade pareil de liquidation, d'exclusion et d'isolement, loin de la loi, dans la mesure où il y a un conseil de discipline qui doit trancher en de pareilles circonstances. A considérer que les accusations portées contre les magistrats incriminés ne relèvent pas de fautes professionnelles, les présumés coupables auraient dû être déférés devant la justice pénale en tant qu'individus et non sous la forme de listes. Le système des listes constitue l'essence même de la couverture de la corruption et de la malversation, soit pour satisfaire la rue ou pour servir les intérêts d'un parti politique déterminé. Le peuple a le droit de savoir ce qui s'est réellement passé et quels sont les magistrats qui ont commis des erreurs justifiant leur révocation. D'autre part, je suis convaincu que la période d'accession à la gouvernance du pays par l'équipe gouvernementale actuelle n'est pas suffisante pour l'examen sérieux des dossiers des 81 magistrats et de décider de leur révocation. En ma qualité de membre du gouvernement Caïd Essebsi, je suis en mesure de certifier qu'il n'y a pas de dossiers de malversation de magistrats. La décision prise par le ministère de la Justice fera en sorte que la justice tunisienne aura une image cent fois plus sombre que celle sous la dictature de Ben Ali, dans la mesure où les magistrats appliqueront, à l'avenir, les instructions, de peur d'être inscrits sur les listes prochaines de magistrats révoqués. Parmi les magistrats révoqués, certains ont contribué remarquablement à la lutte contre le système dictatorial de Ben Ali et à sa chute, à l'instar du magistrat qui a participé, par ses révélations, à la sortie du livre La régente de Carthage, de Nicolas Beau. Je considère cette décision comme une décision de purification politique dans l'objectif d'assurer une domination sans partage de la vie politique nationale et je pense qu'il est de la responsabilité de la société civile et de ses différentes composantes de se mobiliser afin d'annuler cette décision pour que soient préservés les objectifs de la révolution dont en premier lieu l'édification effective de l'Etat de droit et des institutions». Ahmed Hamrouni (président de l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature) : Les magistrats incriminés peuvent recourir au Tribunal administratif «Nous considérons que la question de l'assainissement de la magistrature a été la principale préoccupation des magistrats depuis plus d'une année et demie, outre le fait qu'elle constitue une revendication populaire. Mais quand nous constatons que la révocation des magistrats présumés fautifs est décidée d'une manière unilatérale, nous nous posons plusieurs questions. Ainsi, le ministre de la Justice n'a pas les compétences nécessaires pour révoquer tel ou tel magistrat, quand on sait que, selon la petite Constitution adoptée par l'ANC, c'est le chef du gouvernement qui désigne les magistrats et a le droit également de mettre fin à leurs fonctions. Pour le moment, nous disposons uniquement d'un simple communiqué de presse sans détails ni sur l'identité des magistrats ciblés ni sur les accusations qui leur sont imputées. Les magistrats concernés peuvent s'opposer à la décision ministérielle et ester en justice auprès du Tribunal administratif pour excès de pouvoir. A l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature, nous avons déjà exprimé notre opposition aux dernières nominations décidées par le ministre sans consulter quiconque. Nous réaffirmons cette position pour ce qui est de la révocation des 81 magistrats, une décision qui devait être prise après consultation des structures présentes sur la scène juridique dont en premier lieu l'Association des magistrats tunisiens».